Christophe Barthélemy : La judiciarisation des opérations militaires
Avocat, officier de réserve et ancien auditeur de l’IHEDN, Christophe Barthélemy traite avec la compétence juridique et militaire de ses titres d’un sujet qui préoccupe grandement les armées françaises depuis une bonne vingtaine d’années, suite à l’incrimination pénale devant des juridictions civiles de certains de ses cadres pour des incidents divers en opérations extérieures. Le propos est d’autant plus actuel que la plus haute juridiction civile française, la Cour de Cassation, a confirmé en mai 2012 la légalité d’une instruction pénale pour homicide involontaire à l’encontre de la hiérarchie militaire, engagée à la demande des parents d’une dizaine de soldats tués en 2008 dans une embuscade en Afghanistan.
Le problème qui se pose ainsi est de deux natures, et on peut reprocher à l’auteur de ne pas en avoir tiré toutes les conséquences, même s’il semble les avoir entrevues. Qu’une telle action soit techniquement possible est le premier sujet, qui fait l’objet de l’essentiel du livre, même si l’on pourrait finalement le résumer en peu de mots : dans la mesure où ces opérations extérieures, pour des raisons de politique intérieure ou extérieure, n’ont pas été qualifiées de guerre, c’est le droit commun français qui s’applique, qui a fortement renforcé avec le temps la protection des victimes et la mise en jeu des responsabilités. Il suffit donc, si l’on ne veut aller jusqu’à les requalifier pour ce qu’elles sont en vérité, de créer une catégorie spéciale d’opérations extérieures, hors état de guerre, mais soumises au même droit des conflits armés.
Le plus intéressant est cependant de savoir pourquoi l’idée d’une telle action peut germer et prospérer dans notre société sans heurts majeurs hors le monde militaire, voire avec l’adhésion de l’opinion publique et des médias. Christophe Barthélemy n’ignore pas le problème. Il invoque trois raisons principales : la perte du sens de l’action extérieure de la France, la complexité accrue des missions correspondantes et, enfin, la perte de cohésion sociale et la transformation du rapport à la mort, qui n’est jamais perçue que comme un échec. On peut se contenter de le rejoindre sur ces points, en déplorant que l’impossibilité de faire évoluer à vue humaine ces facteurs conduise à s’en accommoder, ce qu’il semble faire, comme l’institution militaire en France.
Pourtant, on relève dans cet ouvrage quelques notations qui invitent à aller plus loin : l’auteur remarque d’abord pour s’en étonner que l’opinion publique accepte plus facilement un accident à l’entraînement qu’une mort au combat, puis, ailleurs, que des pays démocratiques comme la Suisse ou les Etats-Unis ont réussi à préserver le caractère propre de la justice militaire, avec des juridictions spécifiques y compris pour les actions en temps de paix, signe d’un rapport différent entre le soldat et la nation. Enfin, en conclusion, il appelle à une autre « communication » sur le métier des armes. L’enjeu est-il de communication ou de reconsidérer le statut du militaire pour arrêter d’en faire un contractuel de la sécurité, sujet à des accidents du travail pour lesquels on pourra, comme dans le civil, rechercher les responsabilités de la hiérarchie ? Il s’agit aussi sans doute de restaurer les vertus de courage dans une certaine hiérarchie civile et militaire, car enfin, pour revenir à l’embuscade afghane évoquée plus haut, les décisions ultérieures prises en matière de sélection, de formation et d’équipement des troupes envoyées sur ce théâtre montrent à l’envi que la situation était critiquable et que ces morts auraient sans doute pu être en partie évitées. Mais où a‑t-on vu que certains en aient assumé la responsabilité ?