Le Gouvernement de la République
Francesc Eiximenis est un franciscain catalan du XIVe siècle. Après des études de philosophie et de théologie dans les grandes Universités d’Europe (Cologne, Paris, Oxford, Toulouse), il devient conseiller des bourgmestres de Valence, reconquise sur les Maures un siècle plus tôt. C’est à eux qu’il dédie en 1383 un bref traité intitulé le Regiment de la cosa pública, récemment traduit et publié en français, avec pour titre Le gouvernement de la République ((. François Eiximenis, Le Gouvernement de la République, trad. Patrick Gifreu, éd. de la Merci, Perpignan, 2012, 212 p., 20 €.)) . L’auteur est également largement sollicité par les rois d’Aragon qui lui confient des tâches diplomatiques assez sensibles, notamment dans le cadre du Grand schisme d’Occident. Il apporte ainsi son soutien à l’antipape d’Avignon Benoît XIII et meurt en 1409, au moment du concile de Pise. Son hostilité envers Rome, accusée de toutes les décadences, transparaît assez nettement dans le traité d’Eiximenis : « Mais croyez-moi, il viendra un temps où Dieu Notre Seigneur leur ravira la chaire papale et impériale pour la transporter en un lieu meilleur » (p. 81).
A la différence des grands théologiens de son temps, Eiximenis est avant tout un prédicateur. Il écrit ainsi la plupart de ses nombreuses œuvres en catalan, dans le but de les rendre accessibles au plus grand nombre. Comme ses prédécesseurs des XIIe et XIIIe siècles, il entreprend de rédiger une grande somme théologique (le Crestià) dont il achève seulement quatre livres sur douze prévus. Mais son objectif n’est pas d’apporter quelque chose de nouveau ; il s’agit plutôt de vulgariser la philosophie et la théologie afin de répondre aux questions pratiques de ses contemporains. Par conséquent, si ses écrits apparaissent moins raffinés et moins érudits que ceux de ses prédécesseurs c’est parce qu’ils étaient adressés à des notables qui n’avaient pas toujours fait beaucoup d’études et ne maîtrisaient donc pas nécessairement le latin.
Ses principaux écrits sur la politique sont ce Regiment et le dernier livre du Crestià (le Dotzè). Jusqu’à aujourd’hui, ces oeuvres n’avaient pas été traduites en français, et le théologien n’était surtout connu en France que pour son Traité sur les anges. Le Regiment est désormais disponible en français grâce au travail de Patrick Gifreu, traducteur de nombreux ouvrages catalans anciens et modernes. La préface de l’historien Jean-Pierre Barraqué donne par ailleurs une bonne présentation du Dotzè qui contient les principaux développements du franciscain en matière de philosophie politique.
La doctrine d’Eiximenis apparaît assez composite. On y retrouve en effet des références à Aristote et aux jurisconsultes romains, mais le franciscain s’appuie surtout sur les stoïciens, Saint Augustin, les pères de l’Eglise et la Sainte Ecriture. Saint Thomas d’Aquin n’est pas cité dans la mesure où la Somme Théologique ne franchira les Pyrénées qu’en 1523 avec Francisco de Vitoria qui la remettra au goût du jour. Francesc Eiximenis apparaît ainsi comme un théologien à la charnière entre la Première Scolastique dont saint Thomas d’Aquin est l’épicentre, et la Seconde Scolastique des XVe et XVIe siècles qui a très largement préparé la pensée politique moderne des XVIIe et XVIIIe siècles. Ce Gouvernement de la République montre ainsi un théologien soucieux de ne pas négliger la raison à la suite d’Aristote et des jurisconsultes romains, mais dont les principaux arguments sont tirés de la foi et de la morale.
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