Revue de réflexion politique et religieuse.

Inter­ro­ga­tions sur un lob­by

Article publié le 28 Juin 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

La renon­cia­tion de Benoît XVI a consti­tué un évé­ne­ment sin­gu­lier, et comme le point d’orgue d’une crise au som­met, au moment même où l’on célèbre le cin­quan­tième anni­ver­saire d’un concile sup­po­sé rajeu­nir les ins­ti­tu­tions de l’Eglise. Ce geste demeure encore assez inex­pli­qué. Beau­coup ont par­lé d’ingouvernabilité, à un moment où de nom­breuses ten­sions et luttes d’influence sont pro­gres­si­ve­ment appa­rues au grand jour, l’affaire du Vati­leaks n’étant qu’un révé­la­teur par­ti­cu­lier.
Par­mi les auteurs que cette situa­tion a inci­tés à s’exprimer, un prêtre romain a atti­ré notre atten­tion par son franc-par­ler. Il s’agit de don Ariel Levi di Gual­do, auteur d’un livre inti­tu­lé
E Sata­na si fece tri­no ((. Ariel S. Levi di Gual­do, E Sata­na si fece tri­no. Rela­ti­vis­mo Indi­vi­dua­lis­mo disub­bi­dien­za ana­li­si sul­la chie­sa del ter­zo mil­len­nio, Bonan­no edi­tore, Rome, 2011.)) , titre qui évoque la tri­ni­té sata­nique que détaille un sous-titre : rela­ti­visme, indi­vi­dua­lisme, déso­béis­sance. Un de nos cor­res­pon­dants romains lui a pro­po­sé de répondre à plu­sieurs ques­tions à pro­pos de cer­tains aspects des désordres actuels. Nous publions volon­tiers ici ses réponses.

Catho­li­ca – Dans votre der­nier ouvrage, vous évo­quez le rôle de cer­tains dicas­tères romains dans la mise sous le bois­seau de dénon­cia­tions de plu­sieurs scan­dales graves. Pour­riez-vous éclai­rer cette situa­tion, en fai­sant notam­ment la part de ce qui serait le manque de sérieux de quelques ser­vices de la Curie et de ce qui impli­que­rait des com­pro­mis­sions plus inquié­tantes ?

Don Ariel – Dans ce livre, j’explique que nous avons fait le concile Vati­can II, mais que, en pra­tique, dans les années qui l’ont sui­vi, nous sommes retour­nés à la période qui a pré­cé­dé le concile de Trente, avec ses cor­rup­tions et ses luttes de pou­voir internes alar­mantes. Après des dis­cours abon­dants jusqu’à l’écœurement sur le dia­logue, la col­lé­gia­li­té – depuis un demi-siècle main­te­nant –, ce sont des formes inédites de clé­ri­ca­lisme et d’autoritarisme qui sont appa­rues. Les cham­pions pro­gres­sistes du dia­logue et de la col­lé­gia­li­té usent d’agressivité et de coer­ci­tion contre qui­conque pense en dehors de ce reli­gieu­se­ment cor­rect. Il est aujourd’hui pos­sible de se moquer des dogmes de la foi, de les décons­truire selon une logique anthro­po­cen­trique, mais mal­heur à qui ose­ra mettre en doute le carac­tère « sacré » et « infaillible » du magis­tère exer­cé par cer­tains théo­lo­giens imbus d’hégélianisme et de la théo­lo­gie de Karl Rah­ner, pen­sées qui les conduisent du côté du moder­nisme et des hété­ro­doxies de toutes sortes : celui-là sera mis au ban de cette cote­rie unie et puis­sante tant à la Curie romaine que dans les uni­ver­si­tés pon­ti­fi­cales. Il faut ajou­ter à cela qu’à par­tir des années 1970, il y a eu l’intrusion d’ecclésiastiques homo­sexuels dont, par coop­ta­tion, le nombre s’est ensuite consi­dé­ra­ble­ment accru. Aujourd’hui, ils consti­tuent un véri­table lob­by de type mafieux, puis­sant et prêt à détruire qui­conque s’oppose à eux. Des pro­ces­sus d’inversion des valeurs – le bien devient le mal, la ver­tu est chan­gée en vice, et réci­pro­que­ment – ont vu le jour, abou­tis­sant à per­mu­ter saine doc­trine et hété­ro­doxie, lorsque vient à être dénon­cé l’un de ces ecclé­sias­tiques à l’autorité, avec preuves et témoi­gnages à l’appui ; car la condam­na­tion d’un seul suf­fi­rait à mettre en péril l’ensemble du sys­tème. On a alors vu, à plu­sieurs reprises, des inno­cents être punis, relé­gués ; et des cou­pables de conduites morales graves être pro­té­gés. Quand il s’est avé­ré oppor­tun d’écarter quelques-uns d’entre eux de la Curie romaine, ils ont été accueillis et pro­té­gés par des évêques dans le dio­cèse duquel ils ont consti­tué des cercles d’influence, s’entourant de manière pri­vi­lé­giée d’homosexuels. Encore une fois, dans le sys­tème cor­rom­pu comme il l’est, il n’est pas pos­sible d’agir autre­ment, car si un cou­pable était puni, il se ven­ge­rait en empor­tant dans sa chute tous les autres membres de cette mafia : il faut donc le pro­té­ger coûte que coûte.
L’impression d’ensemble est celle d’une inco­hé­rence dans le gou­ver­ne­ment de l’Eglise, ce que semble mani­fes­ter la pro­mo­tion de cer­tains pré­lats.

Quels sont, selon vous, les rai­sons qui limitent de manière si contrai­gnante la liber­té de l’autorité ?

Il est para­doxal que ce soit sous le pon­ti­fi­cat du « pape théo­lo­gien » que l’on ait vu se mul­ti­plier la nomi­na­tion, à des postes cru­ciaux du gou­ver­ne­ment de l’Eglise, de per­son­nages en totale contra­dic­tion avec ce qu’étaient les pré­misses théo­lo­giques de Benoît XVI : pré­lats à la théo­lo­gie dou­teuse ou au pro­fil terne bien en deçà des défis actuels, comme celui de la nou­velle évan­gé­li­sa­tion. Un trait com­mun les carac­té­rise : der­rière une humi­li­té de façade, la mise en avant, non de l’Eglise, mais de leur propre per­sonne. Je ne sais com­ment, dans quelques décen­nies, on juge­ra ce moment d’un pon­ti­fi­cat à la doc­trine splen­dide, mais démen­tie dans les faits par la pré­sence de ces per­sonnes. Mais, à l’heure pré­sente, je me demande com­ment l’influence cachée (à la manière de marion­net­tistes) de cer­tains est deve­nue si puis­sante qu’elle en soit par­ve­nue à réduire à l’impuissance notre Pierre, marin sans rame, dans une barque bal­lot­tée par les vagues et les rafales de la tem­pête. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que l’Evangile ne laisse aucune place aux équi­voques de cette sorte : Dieu ne nous juge­ra pas sur la base de nos paroles, mais selon la sagesse de nos œuvres (Mt 11, 19). Nous devrons répondre devant Dieu des talents qu’il nous a don­nés, et éven­tuel­le­ment de ce talent enter­ré par peur des voleurs (Mt 25, 12). Je crois que le Sou­ve­rain Pon­tife a reçu de Dieu un talent très pré­cieux et lourd en même temps, qu’il doit faire fruc­ti­fier : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâti­rai mon Eglise ». Un talent qui impose, pour celui qui l’a reçu, de tra­vailler avant tout à ce que « les portes de l’enfer ne pré­valent pas contre elle » (Mt 16, 18). Sans aucun doute, lorsque les his­to­riens étu­die­ront ce pon­ti­fi­cat qui s’est tenu dans une époque si dif­fi­cile et dou­lou­reuse, en ce contexte de pro­fonde déca­dence qui pèse sur l’Eglise, démon­tre­ront-ils com­bien Benoît XVI s’est effor­cé d’agir au mieux pour l’Eglise du Christ, selon ce que les cir­cons­tances lui ont lais­sé la pos­si­bi­li­té de faire. Les foules, à sa mort, ne crie­ront sans doute pas « san­to subi­to », mais il est pro­bable qu’il sera, dans quelques décen­nies, « san­to sicu­ro ».  […]

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