Gérard Genot : La frontière
Ce roman a pour cadre la Tunisie, entre la frontière avec le Sud algérien et la région de Sousse, elle-même proche de la Libye, et place l’action entre les années 1930 et les lendemains de l’indépendance. Il est composé par tranches de vie, une succession de récits entrecroisés qui engendre des répétitions parfois surprenantes et l’impression d’un collage de pièces éparses.
G. Genot témoigne d’une connaissance personnelle qu’explique son enfance passée en Tunisie ; son propos est émaillé d’expressions en arabe, et laisse percer la nostalgie d’une société mêlée, dont les restes sont aujourd’hui dispersés. Il commence à la manière d’un roman d’aventures très attrayant – une traque aux trafiquants d’armes – puis ralentit son rythme au risque de s’enliser. L’histoire est celle de quelques personnages – un douanier, un gendarme, un officier ignorant tout du pays, des fonctionnaires de basse police, des Arabes aux attitudes diverses, fiers et vindicatifs, fidèles et sournois, enfin quelques aventuriers au passé opaque, hommes d’affaires et politiciens… Plusieurs oppositions sont mises en avant, par exemple entre les Siciliens ayant fait souche sur le sol tunisien et le métropolitain méprisant ou indifférent, djebali inadapté à la ville et riche intriguant au bras long. Quelques éléments constituent une nouvelle pratiquement autonome, tel le chapitre intitulé « Maudite soit la mer », qui relate un naufrage. Après une partie centrale qui dévie vers le thriller assez pesant, le thème principal apparaît, en filigrane d’abord, pour constituer l’objet central du livre : une vengeance d’honneur exercée sur un militaire caricatural à souhait, à qui l’auteur prête d’être venu d’Algérie avec une harka massacrer pour l’exemple vieillards, femmes et enfants. La complication du récit permet des digressions inattendues, tel un concert à Constantine du célèbre interprète juif de musique arabo-andalouse Raymond Leyris, dit « Cheikh Raymond », assassiné en 1961 par le FLN. G. Genot s’amuse à faire apparaître des personnages réels dans des situations de fiction, Salvatore Giuliano (le chef de bande sicilien auquel un film de Francesco Rosi a été consacré), ou encore l’écrivain Eugenio Corti – dont il a traduit plusieurs livres… Malheureusement la promesse d’éviter les stéréotypes n’est pas toujours tenue, notamment à propos de la dernière période de l’Algérie française. C’est dommage, l’intention sous-jacente de l’auteur étant justement de surmonter toute « frontière » arbitraire, dans une ligne qui le rapprocherait d’Albert Camus ou, mieux, de Jean Brune.