Revue de réflexion politique et religieuse.

Suong Sikœun : Iti­né­raire d’un intel­lec­tuel khmer rouge

Article publié le 8 Déc 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Auto­bio­gra­phie, obte­nue grâce à l’insistance du jour­na­liste Hen­ri Locard, qui pré­face le livre, d’un ancien haut col­la­bo­ra­teur de l’Angkar, l’organisation maoïste maî­tresse du Cam­bodge, entre 1975 et 1979, res­pon­sable directe de la mort d’un quart de la popu­la­tion de ce pays. Comme les autres diri­geants khmers rouges, Suong Sikœun – né en 1937 – est le fruit de l’éducation reçue à Paris, tant comme étu­diant à la Sor­bonne (Géo­gra­phie) qu’au contact du PCF auquel il adhé­ra. Très entre­pre­nant, connais­sant plu­sieurs langues aus­si bien euro­péennes qu’asiatiques, il sut à la fois res­ter dans les sphères diri­geantes et sau­ver sa peau et celle de ses proches, dans un petit monde révo­lu­tion­naire qui ache­va fré­quem­ment son par­cours ter­restre après un stage dans l’enfer de la pri­son S‑21 de Phnom-Penh. Ce qui est frap­pant et irréel, c’est que ce per­son­nage, comme ses com­pa­gnons, mena une vie presque nor­male, qui le rap­pro­che­rait plus de celle des digni­taires titistes que des com­bat­tants de la jungle (bien qu’il y séjour­nât et qu’il finît par la fran­chir au moment de prendre la fuite devant l’arrivée des troupes viet­na­miennes venues chas­ser les khmers rouges et ten­ter d’annexer le Cam­bodge). Il a rang d’ambassadeur, en Chine, à l’ONU, fait d’agréables voyages à Alger, à Cuba et dans beau­coup d’autres pays, et sert de tra­duc­teur de confiance au « Frère n° 1 », Pol Pot. Témoin de la folie géno­ci­daire des khmers rouges, et de la féro­ci­té mutuelle des diri­geants, il n’en conti­nue pas moins de col­la­bo­rer au plus haut niveau, ne regret­tant que pour la forme, en quelques pages finales, les mal­heurs de son peuple, tout comme la sépa­ra­tion d’avec sa femme, Lau­rence Picq, qui a fini par cra­quer après des années d’asservissement au par­ti. Sa des­crip­tion de la capi­tale cam­bod­gienne vidée de sa popu­la­tion, puis par­tiel­le­ment réoc­cu­pée par des caté­go­ries sociales arrié­rées, se limite à quelques regrets esthé­tiques (notam­ment le fait que sur ordre des khmers rouges, on ait détruit les trot­toirs pour y plan­ter des choux) et admi­nis­tra­tifs (un manque de coor­di­na­tion ubuesque entre les com­man­de­ments). L’intérêt prin­ci­pal du récit est peut-être de révé­ler l’étrange mélange entre une adhé­sion de l’auteur aux acquis pari­siens (fas­ci­na­tion pour la Révo­lu­tion et la Com­mune, stricte dis­ci­pline mili­tante) et le main­tien de tout un réseau de com­bines fami­liales et d’anciennes cama­ra­de­ries avec d’autres milieux cam­bod­giens de divers bords. Ajou­tons qu’après avoir sur­vé­cu aux luttes internes, Suong Sikœun n’a été impli­qué dans le pro­cès des chefs de l’Angkar qu’à titre de témoin.

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