Lecture : De la religion dans la crise
Si l’on s’en tient au titre, le contenu n’est guère convaincant ; si l’on se fie au sous-titre, il s’agit d’un hors-sujet complet. Il est inutile de chercher dans La guerre entre les banques juives et protestantes. Aux origines de la crise financière, de Sylvie Bailly ((. éditions Jourdan, 2012, 226 p. , 17,90 €.)) , le moindre commencement d’explication relatif à l’imputabilité de la crise financière qui s’est brusquement amplifiée en 2008 à une guerre entre banques juives et protestantes, guerre dont il n’est pas non plus démontré, loin s’en faut, le caractère confessionnel. Et cela serait difficile pour deux raisons au moins. La première est que l’auteur, qui parle fréquemment de « valeurs religieuses », semble radicalement impuissant à expliquer non seulement l’influence de ces valeurs sur le comportement de banquiers censés lutter au gré de leurs spiritualités, mais également, plus fondamentalement, ce qu’elles recouvrent. Deuxièmement, S. Bailly semble méconnaître l’attachement viscéral d’une très large part du protestantisme américain à Israël, idée et Etat, dû en particulier à un fort sentiment d’identification.
Avant de voir à quel point l’auteur parvient à démolir dans les dernières lignes de son ouvrage sa propre thèse, interrogeons-nous sur celle-ci. Contrairement à ce qui appert du titre et des premières pages, un parti pris est pour le moins flagrant. En résumé, les banques juives appartiennent au camp du bien (« la communauté juive dans son ensemble vote majoritaire-ment [70%] pour le parti démocrate », p. 161), les banques protestantes au camp du mal, autrement dit, « l’extrême droite » (stupeur et tremblements !).
Alors venons-en tout de suite au cœur de la démonstration : Lehman Brothers aurait pu être sauvée, mais Henry Paulson, secrétaire d’Etat au Trésor américain a choisi de ne pas le faire. Pourtant, cette banque était innocente puisqu’elle émettait les mêmes produits et utilisait les mêmes instruments financiers que les autres grandes banques qui, elles, ont été sauvées grâce à un plan de renflouement de plusieurs centaines de milliards de dollars. Henry Paulson, « chrétien scientiste », ancien directeur général de Goldman Sachs, a en toute conscience choisi dans la tempête financière de jeter « en pâture une banque juive, qui devenait la victime expiatoire d’un système en difficulté » (p. 167), rien que ça, versez une larme. Et plus encore, l’auteur suggère fortement que cet acte antisémite (cette fois, nous le disons pour elle dans un souci de clarification) devait trouver un écho favorable dans la conscience collective américaine. Ce dont on peut se croire autorisé à déduire qu’elle nourrit habituellement des sentiments antijudaïques. Consternant, non ?
Le problème des partis pris, c’est qu’ils aboutissent souvent à ne rien dire, ou à dire n’importe quoi et son contraire à la fois. Nous nous contenterons de deux exemples. Constatant que la population juive ne représente que 2 % de la population américaine, l’auteur ajoute avec beaucoup de finesse que « parmi cette minorité, seule une fraction peu importante fait partie du monde de la finance » (p. 161)… Et pourtant, les banques typées « juives » représentent peu ou prou la moitié des grandes banques d’affaire et commerciales aux Etats-Unis. Parallèlement, elle affirme que « le rôle du lobby protestant, représentant 36 % de la population, ne doit pas être négligé dans ce contexte mêlant religion et finance ». Il faut probablement en déduire que la puissance financière des juifs d’Amérique est la preuve de leur persécution et que le fait majoritaire protestant est celle de leur culpabilité… On admire ce remarquable tatouage de correction politique. Deuxième exemple, sur lequel nous passerons rapidement tant il est grotesque : figurez-vous que tel banquier put exercer ses activités en Allemagne jusqu’en 1938 et que tel autre dut les cesser dès 1938. Vous aurez compris quelle est la confession de l’un et celle de l’autre.
Plutôt que de prendre la défense d’une banque juive, l’auteur aurait mieux fait de dénoncer le système financier dans son ensemble, qui autorise des banques, en prêtant de l’argent qu’elles n’ont pas ou à prendre des positions qu’elles sont incapables d’honorer, à réaliser des gains sans cause tout en ruinant les épargnants, et ce scandale n’a rien à voir avec des questions confessionnelles. Quoique. En conclusion de son livre, Sylvie Bailly s’interroge (enfin) : « Se pose la question de savoir si la finance n’est pas devenue une religion, par elle-même, dans notre société ? Tout porte à le croire ». Reste à approfondir le sujet : elle pourra éventuellement avantageusement découvrir que l’argent est la divinité de l’obédience matérialiste, autrement connue depuis des temps immémoriaux sous le nom de Mammon et qu’elle n’est pas sans rapport avec la méta-religion mondialiste. Mais c’est une autre histoire. Pour l’heure, l’auteur achève par balle sa propre thèse dans son ultime conclusion. Reprenant une citation du successeur de Henry Paulson à la tête de Goldman Sachs (banque supposée appartenir au camp des mauvais), Lloyd Blankfein, qui écrivit, pour décrire le rôle des banquiers, qu’il « faut bien que quelqu’un fasse le travail de Dieu… », elle omet de préciser qu’il est juif. Si nous nous en moquons, sa théorie, elle, n’y résiste guère, dont on se dit finalement qu’elle veut nous faire prendre des clans et des coteries pour des églises et des religions… des canards sauvages pour des enfants du bon Dieu.
Dans un registre diamétralement opposé, Pierre Jovanovic ((. Pierre Jovanovic, Blythe Masters, La banquière de la JP Morgan à l’origine de la crise mondiale, Le jardin des livres, 2011, 257 p, 21 €.)) propose une lecture à la fois plus factuelle, mieux théorisée et… sensiblement plus religieuse de la même crise. En s’attaquant à une inconnue, Blythe Masters, de la JP Morgan, et en en faisant un personnage hautement symbolique de la crise (c’est-à-dire de la norme financière contemporaine), il nous invite dans les arcanes de la haute finance new-yorkaise, donc mondiale, pour contempler l’esprit qui y est à l’œuvre. […]