Lecture : Vendée, l’expérimentation d’un système d’extermination
Les systèmes totalitaires ont cette grande prétention de pouvoir conditionner les esprits jusqu’à transformer les mémoires, réécrire l’histoire. On a ainsi pu découvrir par exemple les ravages de l’idéologie moderne sur la population russe et la difficulté pour elle de se dégager de l’homo sovieticus et son cortège de mensonges et de déni de la réalité. Mais la volonté de l’homme de réaliser sa vocation est la plus forte et l’ouverture, même timide, d’espaces de liberté suffit à discréditer la propagande du déterminisme historique.
C’est tout l’intérêt de l’ouvrage Vendée, les archives de l’extermination ((. Alain Gérard, Vendée, les archives de l’extermination, Centre vendéen de Recherches historiques, La-Roche-sur-Yon, mars 2013, 683 p., 27 € (désormais nous n’indiquerons que la pagination pour les citations de cet ouvrage).)) de mettre à nu le mécanisme de la Terreur, jusqu’à décrire un « système » affranchi du droit et de l’humanité. Son auteur, Alain Gérard, est chercheur à l’Université Paris Sorbonne, au sein du Centre Roland Mousnier, et fondateur du Centre vendéen de recherches historiques consacré à la Vendée des origines à nos jours. Ce dernier organisme possède ses propres éditions, d’où est issu cet ouvrage ; il publie une revue, Recherches vendéennes, et organise des colloques faisant le point de la recherche scientifique. Ouvrage de 683 pages, Vendée, les archives de l’extermination est organisé en onze chapitres équilibrés et dont le libellé des titres et des sous-titres est d’une grande pertinence intellectuelle que révèle le sens de la formule dont est pourvu l’auteur. En fin d’ouvrage, le lecteur peut s’appuyer sur une chronologie thématique de douze pages débutant en 1755 et s’achevant en 1831, un index des noms de personnes citées de quinze pages et d’une extrême précision, un index des noms de lieux de sept pages et une présentation des sources et d’une orientation bibliographique à la fois commentées et thématiques : « 1. La terreur et la Vendée », « 2. Massacres et Vendée », « 3. Tueries aux Sables, à Noirmoutier, Fontenay, Le Mans et Angers », « 4. Carrier et les noyades de Nantes », « 5. Turreau et les colonnes infernales ». L’étude historiographique est tout à fait appréciable pour qui veut comprendre ce qu’Alain Gérard lui-même appelle « une amnésie aussi peu honorable que difficilement supportable ».
La grande force de cet ouvrage est de montrer comment la Révolution a, en quelque sorte, organisé la négation de son crime génocidaire, « le déni précé(dant) le crime », le mémoricide avant le populicide. Car, rappelle, l’auteur, aucun ordre écrit d’extermination globale n’a été émis, « des générations d’historiens ont eu beau scruter les archives à la recherche de l’ordre écrit décisif qui réintégrerait l’impensable dans un semblant de logique commune », seuls des éléments épars mais significatifs ont été trouvés. Ce silence a donc permis la négation de la planification, le rejet de la responsabilité du Comité de Salut public et de la Convention et de ne retenir que la seule qualification historique de massacres de civils lors même que les Vendéens étaient déjà vaincus et la Vendée occupée. Il n’empêche, cela a marché : les manuels scolaires et universitaires, les enseignements, les ouvrages, les « intellectuels », tous se sont jusqu’à maintenant tus, atteints d’une amnésie collective antinomique avec leur travail attendu de recherche et de remise à plat permanente de la connaissance historique et historiographique.
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