Philippe Dufay : Bernanos
« On souhaiterait l’aimer ; il aimerait l’être. C’est difficile. On ne sait devant lui si c’est à un ami ou à un ennemi qu’on a affaire. Dans la même heure : l’un et l’autre ». Cette citation des Mémorables de Roger Martin du Gard reste de l’ordre des impressions extérieures et manque de bienveillance, mais elle traduit assez bien la difficulté à cerner le grand auteur que fut ce « chevalier égaré dans un monde qui ne lui correspondait pas », comme l’a écrit récemment une journaliste. Bernanos est en effet un personnage complexe, comme doté de deux personnalités superposées, l’une supérieure, profondément chrétienne, très juste à l’égard des travers du XXe siècle et de la médiocrité de ceux qui auraient dû être ses plus proches amis, l’autre excessive, instable, tumultueuse, ayant une vie de famille à la fois rangée pour l’époque et le milieu littéraire, mais souvent proche de la bohême. Malgré leurs enfants – insupportables et livrés à une sorte d’anarchie permanente –, Bernanos et sa femme changent à cadence accélérée de résidences, puis de pays (les Baléares, le Brésil, la Tunisie…), passant de l’aisance momentanée que rapportent les œuvres qui se vendent (Sous le soleil de Satan, La grande peur des bien-pensants, plus tard, Le Journal d’un curé de campagne, Les grands cimetières sous la lune) à des périodes de quasi-misère une fois le « magot » épuisé. Cette biographie honnête, vivante et méthodique sait rendre le cadre subjectif d’un auteur génial et incontrôlable.