Yves Chiron : Pie XI
Vaste synthèse – réédition de 2004 – sur une période cruciale de l’histoire de l’Eglise contemporaine. Presque chacun des chapitres appelle un prolongement – et ce n’est pas un reproche à l’adresse de l’auteur, qui suscite plutôt dans ce livre l’envie d’approfondir. Cela peut par exemple être le cas du chapitre X, « Face à Mussolini », qui inciterait à prendre connaissance de la masse de documents fournie dans un récent ouvrage d’Alberto Guasco, Cattolici e fascisti. La Santa Sede e la politica italiana all’alba del regime (1919–1925) (Il Mulino, Milan, juin 2013), sachant que le rapport entre l’Eglise et le régime de Mussolini dépasse de beaucoup, dans ce qu’il révèle du point de vue des modes de raisonnement et pratiques diplomatiques vaticanes, ce qui s’est passé en Italie depuis la fin du XIXe siècle et jusqu’aux Accords du Latran (11 février 1929). On pourrait dire de même d’autres épisodes d’importance majeure, comme l’affaire de l’Action française (avant et après 1926), ou encore l’insurrection des Cristeros et les Arreglos qui furent signés entre l’Eglise et le régime mexicain persécuteur en 1929. Sur ces sujets les chapitres correspondants offrent une synthèse introductive permettant de recadrer ces événements dans leur contexte politique général. Le chapitre XI, intitulé « Les affaires de France », commence par le rappel de la politique anticléricale – antichrétienne en fait – du gouvernement issu du Cartel des gauches, à partir de 1924, se manifestant par la volonté d’appliquer la Loi de Séparation à l’Alsace-Moselle. Cette période est particulièrement riche d’enseignements pour nous aujourd’hui, et ici encore la courte introduction d’Y. Chiron (pp. 407–417) devrait être lue pour engager à s’intéresser à la résistance populaire alors coordonnée par la FNC (Fédération nationale catholique). Cette structure de défense collective a encadré des manifestations massives pendant l’année 1924–25. Dirigée par le général de Castelnau, elle bénéficie d’un encouragement de Pie XI, de manière ambiguë cependant : le pape de l’Action catholique – entendue comme masse de manœuvre sous direction cléricale et en retrait de tout engagement politique actif – pose ses conditions : « […] Pie XI va encourager les catholiques français à « défendre leur religion », mais il ne voulait pas que cette défense religieuse prît une tournure politique » (p. 411) ; en conséquence, la FNC passera sous contrôle des évêques de France. Y. Chiron estime que forte de ses 2.500.000 adhérents, la FNC a bloqué l’élan destructeur du Cartel, mais il n’insiste pas sur l’aspect stérilisant. On regrettera que l’historien ne fasse qu’effleurer (p. 329, en un tout petit paragraphe) les problèmes innombrables posés par la définition de l’Action catholique et de ses objectifs « intégralistes » par Pie XI, pourtant l’une des clés de bien des problèmes internes ultérieurs. L’intégralisme en question signifiant, de fait, en même temps une volonté de reconquête du monde à Jésus-Christ, sous tous les aspects individuels et collectifs, et la conduite de cette reconquête grâce à une structure cléricalisée et s’abstenant volontairement d’entrer en politique, sauf indirectement, par voie de retombées d’une influence sur les mentalités. En revanche il ouvre, quoique tout aussi brièvement – mais ce n’est pas son vrai sujet – la parenté qui unit ce projet des années 1930 et l’actuelle conception de la « nouvelle évangélisation » (p. 328).