Jacques Frémeaux, Aymeric Chauprade, Philippe Evanno (dir.) : Menaces en Afrique du Nord et au Sahel et sécurité globale de l’Europe
La caractéristique première de cet ouvrage collectif, issu du colloque international du 28 février 2013 en Sorbonne, est la pluridisciplinarité de l’analyse, ce qui est tout à fait original pour évoquer une question complexe comme celle de l’instabilité sahélienne actuelle, mais surtout au rebours de l’approche pesante de la vulgate médiatique uniformisée. Le colloque avait créé les conditions d’un authentique débat entre spécialistes et d’une confrontation des points de vue entre autant d’acteurs de terrain : un ancien ministre malien, notamment en charge du développement du Nord, un représentant des Touaregs du MNLA, des agents diplomatiques et du renseignement, des universitaires reconnus du Sahel et du Maghreb. L’ouvrage restitue en partie cette dynamique. Dense, d’un niveau de qualité assez rare et riche d’un grand nombre d’informations, il permet d’appréhender les éléments concrets des jeux d’influence menés par les Etats concernés, tant d’Afrique du Nord et sahéliens que les puissances extra-africaines et, par exemple, les intérêts géopolitiques des acteurs de la crise du Mali, le rôle du Qatar et des Etats-Unis. Les maux tels que l’islamisation de l’Afrique subsaharienne sur le vieux mode de l’alternance entre razzia et oeuvres de bienfaisance, l’implication de nombreux acteurs politiques et économiques sur les ressources géologiques de la région (pétrole, or, uranium), les trafics de toutes sortes (drogue, armes, cigarettes, contrefaçons, otages, e‑déchets, médicaments, traite d’êtres humains, migrations illégales, détournement de pétrole, etc.) parmi les plus denses du monde sont bien décrits et explicités. Les auteurs soulignent également la présence des mouvements terroristes islamistes proches ou non d’intérêts étatiques des puissances régionales ainsi que la déstabilisation inhérente aux millions de réfugiés, la dissémination des milliers d’armes légères et lourdes provenant principalement du chaos libyen et la porosité des milliers de kilomètres de frontières de pays en guerre.
L’instabilité saharienne s’inscrit dans la longue durée de l’Histoire et les pesanteurs historiques, clefs d’intelligibilité des crises au Sahel, sont longuement exposées. L’élucidation de la situation particulière du peuple touareg dans la zone sahélo-saharienne et la lutte pour sa reconnaissance au niveau national, régional et international est mise en valeur dans le corps de l’ouvrage et revient en fil rouge de plusieurs chapitres.
Dans la partie de l’ouvrage consacrée aux régulateurs extérieurs, les rôles de l’Union européenne et des institutions africaines (CEDEAO et UA) sont précisément analysés ; le cas de l’indépendance conflictuelle du Sud-Soudan est également évoqué. La conclusion qui se dégage de cet ensemble est que tant que la complexité des situations amenant aux conflits sera clairement exclue des raisonnements fondant les interventions occidentales, notamment françaises, les tentatives proposées de médiation et de résolution des crises ne seront que des pis-aller, comme on doit s’y attendre pour le cas malien.