Nathanaël Dupré La Tour : Au seuil du monde
Ce petit essai, écrit par un jeune auteur malheureusement victime d’un accident de la route peu après avoir été publié, s’enracine dans un étonnement : celui, qu’on ne peut que partager, de voir coexister à une même époque et parfois à peu de kilomètres de distance des modes de vie aussi radicalement différents que ceux d’une abbaye bénédictine et de ce qu’il appelle le « monde sublunaire ». Autrement dit, celui de l’homme moderne standardisé, urbanisé, caractérisé par la mobilité, l’interconnexion électronique permanente, la distraction, la rentabilité obsessionnelle, le temps fragmenté… L’auteur s’attache à montrer que dans cet environnement « tout est fait pour nous détourner de ce rapport au temps qui seul peut nous conduire au Tout-Autre ». Sans en faire un idéal obligé, il tire de la vie bénédictine des leçons pour vivre dans le monde « sans y être pris ». « Car en dépit des apparences, déclare-t-il, ce monde qui ne fait que courir est en sommeil ; les guetteurs ne sont pas là où on les croit, là où ils prétendent être, dans l’attente anxieuse du prochain flux d’information. L’éveil, la vigilance véritables sont [là] où l’on se voue dans le silence à la conjugaison de l’oeuvre et de l’oraison, où l’on attend dans l’espérance de la réconciliation que vienne nous trouver le Visiteur Evangélique. » Une question qu’on aurait aimé lui poser : s’il peut exister, comme il le laisse entendre, une « porosité » entre l’idéal bénédictin porté par quelques courageux hérauts et le monde sublunaire qui les entoure, jusqu’à pouvoir réduire les effets néfastes de ce dernier, n’y a‑t-il pas aussi des lieux structurellement hermétiques à toute espèce de vie intérieure ?