Bioéthique et biologie
La loi contre la dénaturation du mariage civil (qui, ne constituant pas une union indissoluble, correspond déjà à une dénaturation du mariage naturel) a rencontré en France une vive opposition ; mais la vie humaine a subi dans le même temps une nouvelle agression législative, dans une indifférence quasi générale. Marquant l’aboutissement d’un processus lancé à l’automne 2012, la loi du 6 août 2013 autorise la recherche sur les embryons humains conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation. La justification sous-jacente est cohérente avec les principes de la culture de mort : pourquoi interdire de manipuler en laboratoire un amas cellulaire sans projet parental que l’on s’autorise à éliminer dans le sein de sa mère ? Avec son dernier essai, le Dr Jean-Pierre Dickès vient opportunément crier quelques vérités que notre temps ne veut pas entendre ((. Jean-Pierre Dickès, L’ultime transgression, refaçonner l’homme, Editions de Chiré, Chiré-en-Montreuil, 2012, 282 p., 20 €.)) . Il prolonge ainsi L’homme artificiel ((. Jean-Pierre Dickès, Godeleine Lafargue, L’homme artificiel, essai sur le moralement correct, Editions de Paris, Versailles, 2006.)) , à l’époque préfacé par Michel De Jaeghere qui y évoquait déjà une « ultime transgression » (p. 16).
Œuvre d’un médecin qui ne cache pas sa foi, L’ultime transgression mêle des citations caractéristiques de la « culture de mort », des éléments de vulgarisation, des références culturelles, des protestations ironiques et des cris d’indignation. A dire vrai, l’auteur brasse parfois un peu trop, au risque de mal étreindre son sujet. Il peut convoquer sur la même page Malthus, Darwin et Gobineau (p. 126), tout en prenant parti sur l’euthanasie, la mondialisation, la théorie du genre, la maçonnerie, les centrales nucléaires, les automates et les robots. Certaines références manquent. D’autres affirmations témoignent d’une réflexion inaboutie ; J.-P. Dickès affirme par exemple : « Les acides aminés en eux-mêmes ne sont pas la vie. C’est leur agencement en structure hélicoïdale qui l’est » (p. 173) – mais l’agencement en structure hélicoïdale n’est pas non plus la vie. Emporté par son élan, il s’en prend vivement au titre du catéchisme Pierres vivantes (p. 177) – mais il ne remarque pas qu’il s’agit d’une expression néotestamentaire (1 Pi 2.5).
Au-delà de ces traits parfois agaçants, L’ultime transgression offre un bon point de départ au lecteur qui souhaite ensuite réordonner et approfondir des idées ou données souvent éparses. L’auteur fournit les éléments d’un tableau de l’état de la technique : création d’espèces artificielles (pp. 172–173), hybridations homme-animal, mutants, enfants à trois parents biologiques, après introduction des gênes d’une femme dans l’ovule d’une autre femme, elle-même fécondée par un homme (p. 190), etc. J.-P. Dickès insiste sur les limites aux perspectives offertes par les cellules embryonnaires, et sur les potentialités scientifiques et thérapeutiques que recèlent les cellules qui n’exigent ni la conception in vitro ni la destruction d’embryons. Il montre comment la volonté d’expérimenter sur l’embryon peut ne pas résulter d’une ambition thérapeutique mais simplement de la volonté de le considérer comme un simple matériau (cf. les prises de position d’un Marc Peschanski, souvent cité). J.-P. Dickès rappelle également les déclarations révoltantes du député Dussopt (p. 109) ((. « Quand j’entends que « malheureusement » 96 % des grossesses pour lesquelles la trisomie 21 est repérée se terminent par une interruption de grossesse, la vraie question que je me pose c’est pourquoi il en reste 4 %. », Olivier Dussopt, 25 janvier 2011, Assemblée nationale.)) . Il mentionne l’apparition du concept d’avortement post-natal (p. 135) : puisque l’on peut supprimer un enfant juste avant la naissance, pourquoi ne pas pouvoir le supprimer juste après ? La question est logique ; l’on peut se demander combien de temps la mise en pratique heurtera encore les sensibilités du grand nombre.
Le Dr Dickès conclut avec un appel au législateur, appel qui restera d’autant plus sans écho que la question demeure complexe : au-delà du cas évident du petit humain dont la vie commençante est déjà surnaturelle en puissance, la manipulation de la vie animale soulève déjà des questions philosophiques et morale. A défaut d’y répondre, L’ultime transgression éclaire sur l’origine de la culture de mort ; elle provient de ce que, réemployant un vocabulaire contestable, l’auteur appelle la dissociation de la sexualité de la fonction de reproduction (p. 96). Plus fondamentalement encore, il s’agit d’un refus de la maternité, et par là de la féminité ; J.-P. Dickès commente très justement l’adage antique : « Tota mulier in utero » (pp. 123–124) : ce qui fait la femme, c’est sa capacité à être mère ; la femme, en tant que femme, est ordonnée à porter la vie. A défaut de les expliciter, saint Thomas a enchâssé plusieurs intuitions en ce sens dans un article qui le fait pourtant souvent taxer de misogynie (Ia q. 92 a1). L’homme et la femme participent tous deux pleinement à l’essence humaine ; mais, à leur complémentarité physique, correspond sans doute une complémentarité spirituelle, avec un rapport à la vie qui demeure différent. Rapport à la vie, donc rapport à l’être, attaqué à travers la négation de la féminité, de ses charges et de ses joies : on touche là l’un des problèmes cruciaux de la modernité.