Sur la morale dite laïque
Les décisions prises par le pouvoir actuellement en place en France ne font en général qu’accentuer celles prises par le pouvoir précédent, tant il est vrai que la politique à l’œuvre en France relève davantage d’une logique de régime que de gouvernement. Le projet du ministre de l’Education concernant l’enseignement de la morale à l’école n’échappe pas à cette règle : les inquiétudes justifiées qu’il suscite ont tendance à faire oublier que ce projet n’est pas radicalement neuf ((. L’arrêté du 9 juin 2008 concernant les programmes de l’école primaire prévoit l’enseignement de la morale dans toutes les classes de ce niveau ; la circulaire n. 2011-131 du 25 août 2011 en précise les tenants et aboutissants (cf. L’instruction morale à l’école, sous la direction de Jean-Michel Blanquer, éditions du CNDP, avril 2012, pp. 69 ss.). Etant donné le caractère assez vague de la forme que doit revêtir un tel enseignement, la principale nouveauté introduite par M. Peillon semble être sa généralisation à tous les niveaux d’étude.)) . Il reste que la posture du ministre, ainsi que le contexte tant général que politique et médiatique du pays, ont contribué à donner à ce projet un retentissement significatif. Les réactions n’ont pas manqué, à la hauteur de l’émoi suscité. Parmi les publications faites à cette occasion, l’ouvrage du philosophe Thibaud Collin Sur la morale de monsieur Peillon se signale par ses mérites ((. Editions Salvator, septembre 2013, 142 p., 14,50 €.)) . L’auteur se prête en effet dans ce petit livre à une analyse assez complète des principes qui régissent la question de la morale dans le contexte de la « tradition républicaine », en remontant, comme il est de bonne méthode, aux origines de la question. Il inscrit ce faisant le propos du ministre dans une cohérence doctrinale que la méconnaissance de cette tradition empêche trop souvent de percevoir. Mais il montre en même temps comment le réel se rappelle à l’idée, et comment donc l’évolution contemporaine des mœurs rend impossible, et par conséquent vain, ce que la vigueur morale de nos ancêtres des débuts de la République avait rendu possible. A travers cela, Thibaud Collin conduit une analyse très pertinente et de l’éducation morale, et du régime politique de laïcité, et il esquisse ce que peut être le rôle de l’Eglise dans le contexte social actuel.
Autant de thèmes qui offrent matière à réflexion en même temps qu’à discussion. Après un exposé succinct de l’analyse de la morale dite laïque effectuée par Th. Collin, nous nous proposons d’en souligner les aspects les plus saillants, en discutant certaines des positions tenues par l’auteur.
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Sur la morale de monsieur Peillon est composé de cinq articles rédigés séparément, mais harmonisés, auxquels viennent s’ajouter le premier et le dernier chapitres. Il se dégage de l’ensemble une unité souple mais claire, et qui n’est pas que thématique mais constitue une véritable petite étude de la question.
L’auteur commence par une présentation du projet de Vincent Peillon, en se demandant en quoi il ressortit à la morale. Si le caractère moral de ce qui est voulu par le ministre se manifeste dans le fait que cela a rapport au bien et au mal, et au-delà au sens de l’existence, il reste que la présentation presque exclusivement critique qui en est faite semble contradictoire avec la dimension d’enseignement que cela doit revêtir. Sans compter qu’est aussi reposée la question platonicienne de savoir si la vertu s’enseigne. Les choses, d’emblée, n’apparaissent pas très claires, mais trouvent un sens au niveau politique, dans l’enracinement des projets ministériels dans la pensée des pères fondateurs de la République. Rêvant encore d’achever la Révolution, M. Peillon conçoit en effet la morale comme une sorte de sécularisation de la religion, et la laïcité comme « la réalisation de la religion républicaine que la Révolution a cherchée sans jamais la trouver » (p. 27). Cette « religion » (que l’on ne saurait plus guère aujourd’hui qualifier de « nouvelle » sans quelque ridicule) est censée conduire à l’émancipation de l’individu en ramenant ce dernier à une indétermination fondamentale, supposée être, dans la pensée du ministre, la condition nécessaire d’un choix libre. Il faudrait être affranchi de tout déterminisme, et ainsi ouvert à tous les possibles pour pouvoir choisir. C’est pourquoi l’enseignement de la morale peut revêtir le caractère principalement, sinon exclusivement, critique de la lutte contre les préjugés.
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