Alberto Methol Ferré, Alver Metalli : Il Papa e il filosofo
Alver Metalli, journaliste italien installé en Argentine, lié à Comunione e liberazione, a réalisé ce livre d’entretiens bien avant que l’on ne s’intéresse mondialement à Jorge Mario Bergoglio. Son interlocuteur, qui a été en relation avec ce dernier, fut un historien et philosophe social uruguayen, longtemps conseiller du CELAM. Il est décédé en 2009. La discussion commence par l’évocation de la fin difficile du communisme et de ses intellectuels. Conscients d’avoir été pris au piège de la prétention du système soviétique de rivaliser en matérialisme avec leur double capitaliste, certains s’enferment dans la nostalgie du « foquisme » de Régis Debray et du Che. D’autres cependant se reconvertissent dans le « national-populisme », terrain sur lequel l’obstacle de l’athéisme s’estompe, permettant un jeu d’alliance entre catholiques et antilibéraux. Methol Ferré suit l’analyse de Zbigniew Brzezinski sur les effets ravageurs de l’abondance, et surtout celle d’Augusto Del Noce sur l’avènement d’un athéisme général devenu « naturel », aboutissant à la perte de sens et au « libertinage de masse ». Le meilleur chapitre du livre détaille cet aspect. La révolution violente n’intéresse plus qu’une petite élite tandis que les masses subissent la pression abrutissante du vice. Methol Ferré célèbre les grands inspirateurs de Vatican II (Congar, Chenu, Daniélou, Rahner, de Lubac, von Balthazar) mais en même temps il les considère comme les témoins du chant du cygne de la chrétienté européenne. Le nouveau centre d’une synthèse catholique devrait se situer selon lui du côté latino-américain. La perspective correspond aisément au « tercerposicionismo » qu’affectionnait son grand modèle Juan Perón, sorte de synthèse inclusive appelée à marquer une nouvelle époque. « Comment résumeriez-vous les grands résultats du Concile », lui demande Alver Metalli. Réponse : « Avec le Concile, l’Eglise transcende aussi bien la réforme protestante que l’illuminisme laïque. Il les dépasse, en ce sens qu’il assume ce qu’il y a de meilleur en chacun d’eux. On pourrait aussi bien dire : il recrée une nouvelle réforme et un nouvel illuminisme. […] Avec le Concile, la Réforme et les Lumières deviennent finalement un passé, perdent leur substance et leur raison d’être, et réalisent le meilleur d’elles-mêmes dans l’intimité catholique de l’Eglise. L’Eglise, en se les assimilant, les abroge comme adversaires et en recueille la puissance constructive ». Methol Ferré est très sensible à la stérilité de la séparation entre le domaine religieux et les sciences sociales, ce qui le rend ouvert au courant de la théologie de la libération le plus « existentiel » et « populiste », autour de Lucio Gera et Juan Carlos Scannone – les deux maîtres de J.M. Bergoglio. De ces entretiens de qualité se dégagent deux notes dominantes. D’une part, la conviction que l’Amérique latine est un laboratoire où devrait se définir une nouvelle « théologie » national-populaire, étendue au sub-continent, reprenant le mythe de la Patria Grande péroniste, dont le Mercosur serait le tremplin. D’autre part, une assise théorique en définitive peu nouvelle, reprenant, quoique rajeunie, la vieille idée libéral-catholique d’une modernité christianisée (ou d’un christianisme modernisé). Le titre original de ces entretiens était « L’Amérique latine au XXIe siècle ». Celui de cette traduction suggère une interprétation sans doute forcée si elle est prise au pied de la lettre. Toujours est-il qu’entre « le pape et le philosophe » il y a sans doute quelque familiarité intellectuelle.