Bernard Peyrous : Connaître et aimer son pays. Une réflexion chrétienne sur les nations
Prêtre et historien, Bernard Peyrous déclare aimer la France. Il a beaucoup voyagé, effectué de fréquents et parfois longs séjours à l’étranger, considère certains autres pays avec une grande et profonde amitié, mais sa prédilection va au sien. Conscient de parler à contre-courant de l’autoflagellation imposée, il reprend dans ce livre diverses conférences, rassemblées en trois parties : un essai de théologie des nations, l’approche historique des relations entre nations et foi chrétienne, enfin des « regards sur la France ». L’ouvrage est argumenté, fait référence à de nombreuses sources, et porte des jugements qu’il est bien difficile d’écarter d’un revers, même s’ils ne sont pas toujours très développés, ou si certaines omissions peuvent étonner étant donné la gravité de leurs conséquences (le Ralliement, la guerre d’Algérie et son issue – qui n’apparaît que dans une courte phrase à côté d’une allusion à la guerre d’Indochine). On apprécie le ton direct de l’ensemble, un don pour la synthèse, comme par exemple à propos de la Révolution. En revanche, bien que l’auteur soit très lucide sur les réalités du présent (qui vient conclure provisoirement le XXe siècle, ce « grand siècle du sang »), il laisse quelques questions de fond en suspens, ce qu’illustre par exemple une formule comme celle-ci : « La notion de personne, la démocratie qui en est issue, tout cela est actuellement menacé. » (p. 239)
B. Peyrous sursaute devant les déclarations d’un « ministre de l’Identité nationale »(Eric Besson) qui a l’effronterie de nier cette identité : « La France n’est ni un peuple, ni une langue, ni un territoire, ni une religion, c’est un conglomérat de peuples qui veulent vivre ensemble. Il n’y a pas de Français de souche, iln’y a qu’une France du métissage. » Commentaire : « On remarquera que, non seulement l’Etat s’arroge dans ce cas le pouvoir de dire ce qu’est ou pas la nation, mais aussi que le ministre qui représente cet Etat tient des propos qui tendent à la dissolution de la nation. Si la nation est dissoute, il ne reste que l’Etat qui devient, selon d’autres propos du même ministre, une fabrique de « bons Français ». Mais alors qu’est-ce qu’être français ? » (p. 54) Mais quoique poussé à l’extrême, le nominalisme subversif de l’ancien ministre n’est-il pas l’application logique de la philosophie démocratique, cette nation contractuelle que Renan définissait, dans une formule certes ambiguë, comme un « plébiscite de tous les jours » ?Autre thème susceptible d’ouvrir la discussion : celui du chapitre intitulé « Une nation a‑t-elle une vocation ? » Le dominicain B.-D. de La Sougeole, cité par l’auteur, répond négativement, mais il semble confondre vocation et messianité, ce qui lui fait dire que depuis la disparition de l’ancien Israël aucune nation n’a de vocation, sinon « d’un autre ordre ». Les dernières pages portent sur le terrorisme intellectuel et sur sa contestation, qui s’étend à de très nombreux aspects, montrant qu’il existe deux sociétés parallèles, l’une qui possède le pouvoir symbolique dans le champ clos de l’espace public, à l’abri de l’appareil étatique ; l’autre dans la réalité. La grande question est de savoir comment il sera possible de se libérer de ce parasitisme. L’auteur conclut sur l’importance de la volonté : « Le monde peut changer en bien. Il n’y a pas de raisons qu’il ne change pas. Mais si j’ose dire : finie la vie bourgeoise » !