Ephrem-Isa Yousif : Les Chrétiens de Mésopotamie. Histoire glorieuse et futur incertain
Avec quelques autres auteurs, chrétiens d’Irak ou de Turquie, Ephrem-Isa Yousif s’efforce d’édifier un mémorial de cette chrétienté de Mésopotamie aujourd’hui en majeure partie déracinée. Depuis une vingtaine d’années, il multiplie livres (il a dépassé la douzaine) et conférences, complétant ainsi les travaux, de style différent, de Joseph Alichoran et Joseph Yacoub, parmi les Chaldéens qui écrivent aussi en France et en français. Son premier livre (Parfum d’enfance à Samate), plus personnel, rappelait un passé récent, celui de sa jeunesse et de régions irakiennes où les chrétiens étaient les plus nombreux. Cette fois, son projet est plus vaste, plus classique aussi, moins original donc. Il reprend des conférences, probablement réécrites en partie, afin de présenter toute l’histoire des chrétiens syriaques de Mésopotamie depuis les origines jusqu’à ce « futur incertain » rappelé par le pape François. Les résultats dramatiques de la guerre de « Bush le Menteur » sont rappelés sobrement et font craindre pour les autres guerres, qu’elles soient dites « civiles » ou de « démocratisation », que les Etats-Unis et leurs alliés ou complices soutiennent dans tout le Moyen-Orient. L’intérêt principal de ce livre est sa simplicité : en cinq parties, l’histoire des chrétiens de Mésopotamie est bien présentée, d’Addaï et Mari, les fondateurs, à nos jours. Pas de révélation, bien sûr, mais un découpage simple et une lecture aisée. Regrettons seulement que pour des raisons d’économie, bien compréhensibles, l’éditeur se soit contenté de trois cartes, petites et difficilement lisibles, pour éclairer les lecteurs sur une région qu’ils connaissent généralement mal. Puis, reprenant la substance d’ouvrages qu’il a récemment publiés, les « conférences » présentent des « faits illustres et grands personnages » de manière un peu dispersée et anecdotique. Mais cette partie, a priori surprenante, permet de mieux saisir la mentalité des Syriaques actuels, fiers d’un passé que les chrétiens occidentaux ont tendance à ignorer complètement, comme si leur religion ne leur venait que de Jérusalem et Rome. L’hagiographie n’est jamais très loin, mais elle est justifiée à la fois par la sainteté de bien des personnages cités et la fidélité aux textes de l’époque. Certains seront surpris, à tort, par la place faite à ces chrétiens qui ont transmis la sagesse, notamment grecque, aux Arabes. Ce sont des Syriaques qui ont traduit Aristote et Galien en arabe ; à ce sujet, on découvre une règle de la « bonne traduction » remarquablement énoncée par Ibn Suwar (aux alentours de l’an mil), qui conseille et utilise les notes et renvois pour mieux faire discerner la pensée de l’auteur (p. 179). La fin du livre est peut-être superflue : un chapitre sur une rencontre avec les Yézidis, en 2006, au nord de l’Irak, est artificiellement rattaché au cœur de l’ouvrage au motif que ces prétendus « adorateurs du diable » ont naguère défendu des chrétiens ; et un autre chapitre traite des Français et de la culture syriaque, sorte de tableau d’honneur et de quasi-bibliographie avant la courte bibliographie terminale. Notons que la dernière phrase (interrogative) laisse per-plexe sur l’avenir très obscur des chrétiens en Mésopotamie. Un livre utile pour tous ceux qui osent encore mal connaître ces communautés dont l’intégration en France est un modèle, dès lors à peu près ignoré par les autorités officielles.