Gian Franco Svidercoschi : Le retour des clercs. L’Église entre Cléricalisme et Concile
Ce livre, publié par l’ancien numéro deux de L’Osservatore Romano est déjà un peu daté. A l’occasion de « l’Année de la Foi », décrétée par Benoît XVI, G. F. Svidercoschi s’interroge sur les motifs de crise spirituelle traversée par l’Eglise contemporaine. Loin de l’imputer aux seules mutations du monde comme il ne va pas, l’auteur du livre considère que la crise est due, principalement, à la présence d’un ennemi intérieur au sein de l’Eglise : le « cléricalisme ». Par ce vocable, l’auteur dénonce « l’Eglise hiérarchique », une Eglise « pouvoir » et non une Eglise « service », reposant sur la « tutelle » des clercs et « repliée sur elle-même », sur son « identité », sur ses dogmes, ses intérêts propres. Cette Eglise institutionnelle, centrée sur l’Europe, apparaît à l’auteur comme sortie de l’Histoire, parce qu’elle est incapable de sortir du « régime de chrétienté constantinien », incapable de rencontrer le monde contemporain, un monde sans doute profondément nostalgique de Dieu (sic !), mais un monde à qui elle ne peut pas s’adresser, car elle n’en parle toujours pas la langue. Ce n’est pas le monde qui ne veut pas entendre, c’est le message qui est inaudible. Les différents scandales, en particulier la pédophilie et le Vatileaks (p. 6, pp. 47–52), qui viennent s’opposer à son autoritarisme et à son moralisme, ont entamé la « crédibilité » de l’Eglise, selon un leitmotiv médiatique qui revient continuellement sous la plume de Svidercoschi et qui explique, selon lui, la désaffection du monde pour le message catholique. Nostra culpa. La solution proposée par l’auteur est simple : il faut revenir cinquante ans en arrière, il faut revenir au Concile – le seul, l’unique –, celui qui a trouvé, une fois pour toutes, et serait-on tenté de dire, par exception dans l’Histoire des Conciles, toutes les solutions à tous les problèmes. L’auteur ne fait pas un bilan critique et contrasté de l’application du Concile Vatican II, mais il en déplore l’étouffement par les pesanteurs cléricales, les reculs de Paul VI et la peur de Benoît XVI, présenté comme un obsédé du schisme lefebvriste et de la protestantisation du catholicisme (pp. 27 ss.). Par parenthèse, l’auteur associe cléricalisme et passé, mais semble ne voir aucune contradiction à retourner cinquante ans en arrière… Le droit au passé idéalisé ne vaut que pour certains. Participant d’une culture de la repentance, ce livre intéressera davantage le lecteur pour ce qu’il dit de l’atmosphère de fin de règne du pape Ratzinger, du regard critique que les nostalgiques du bouillonnement des sixties ont pu porter sur un pontificat dont le maître mot aurait été « la peur », plutôt que pour l’originalité des positions défendues par l’auteur. En vérité, c’est un livre que l’on a l’impression d’avoir lu mille fois, fait de plus de slogans que d’idées, en particulier dans les pages consacrées à la constitution Lumen Gentium (p. 121 sq.). Au final, le chantier que G. F. Svidercoschi propose à « l’autre Eglise », « l’Eglise du peuple », celle qui s’est levée dans les années soixante et dont la marche aurait été ralentie par les clercs, relève de l’idéologie dominante (pp. 145–149) : féminisation, autre regard sur la sexualité et le célibat, œcuménisme, droit-de‑l’hommisme, laïcité positive à l’américaine, revalorisation du laïcat enthousiaste au détriment de l’Eglise des spécialistes, appel à la collégialité et à la décentralisation, horizontalisme, tiersmondisme, etc. D’un certain point de vue, l’ouvrage de ce vaticaniste devait trouver une réponse éclatante et un encouragement dans l’élection du pape François, précisément venu des « périphéries » pour inviter l’Eglise à la « spiritualité de la sortie » dont il a fait sa marque de fabrique, ainsi que dans la récente canonisation de Jean XXIII. On l’aura compris, ce livre est un pur produit de l’esprit du temps.