Laurent Mauduit : L’étrange capitulation
La thèse de l’ouvrage, dont le titre fait allusion à un autre, célèbre, de Marc Bloch, s’articule autour du fait que la défaite de la gauche au pouvoir en France depuis 2012, incarnée par la faiblesse inédite du président de la république et du parti dont il est issu, serait due à la trahison de ses élites arrivées au pouvoir face aux engagements pris lors de la campagne et en tant que parti de gauche. Pour l’auteur – passé par les directions de Libération et du Monde, cofondateur de Mediapart et collaborateur de Marianne – « depuis son entrée à l’Elysée, François Hollande […] n’a pas cherché un seul instant à modifier la politique de son prédécesseur ». Suit une démonstration qui, après l’officialisation récente du passage à la « libéral-socialdémocratie » par le parti au pouvoir, devient presque totalement inutile. Le « peuple de gauche » a le sentiment qu’on lui vole sa victoire, se plaint Laurent Mauduit. Mais de quel peuple parle-t-il ? La stratégie électorale du parti socialiste s’est nouée lors des dernières élections présidentielles et législatives sur l’union des communautarismes « sociétaux », le vote des immigrés régularisés et l’aspiration à remplacer les équipes sortantes. Ces catégories n’ont plus guère de lien avec le fonds historique de la gauche ouvrière et des employés modestes qui en avaient fourni la principale masse électorale. Les dirigeants de la gauche française sont eux-mêmes issus d’une élite sociale parmi la plus fermée et étroite que peut produire la société française. Il n’était pas difficile de prévoir leur incompréhension abyssale d’un électorat dont ils ne saisissent tout simplement pas les revendications. Quant aux nouvelles catégories vers lesquelles ils se sont tournés, on constate qu’elles sont aléatoires et volatiles, et n’ont aucun attachement particulier au pouvoir en place. Enfin, le centre-gauche et le centre-droit se sont surtout illustrés ces vingt dernières années à appliquer successivement la même doxa politique et économique avec des divergences minimes, les déficits ont été reconduits, le taux de chômage n’a pas cessé de progresser, la croissance acceptée fut celle, molle, des politiques de convergence de la zone euro, elle-même hétérogène comme il est interdit de l’être pour un espace monétaire, la réforme en profondeur des structures de décision reportée indéfiniment. La « capitulation » que veut faire percevoir l’auteur, lui-même pleinement inséré dans le milieu fermé que l’on vient de mentionner, est en réalité un cumul de maladresses qui oblige le nouveau et petit « peuple de gauche » boboïsé à tenter de trouver une autre base électorale que celle dont il a eu besoin jusqu’ici pour atteindre ses objectifs. A moins qu’il ne cherche simplement à s’en passer.