Lectures : Feu la chrétienté bretonne ?
De la feiz hon tadou koz, la foi des Pères d’un cantique célèbre en son temps, que reste-t-il en Bretagne ? Etudiant la décomposition des chrétientés occidentales entre 1950 et 2010 ((. Yvon Tranvouez (dir.), La décomposition des chrétientés occidentales 1950–2010, Centre de recherche bretonne et celtique, Brest, 2013, 400 pp., 23 €.)) et les religions en Bretagne ((. Id. (dir.), Religion(s) en Bretagne aujourd’hui, Centre de recherche bretonne et celtique/Institut Culturel de Bretagne, Brest /Vannes, 2014, 280 pp., 20 €.)) , deux ouvrages récents dirigés par Y. Tranvouez, professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’Université de Brest, s’intéressent, en partie, à la disparition de la religion catholique comme élément de structuration de la société en Bretagne, ainsi qu’à la crise traversée par l’Eglise catholique dans la région. Fait notable, cette crise ne profite pas à d’autres confessions religieuses, qui restent largement minoritaires, en partie du fait de la faible attractivité de la Bretagne pour les flux migratoires : en revanche, 30 % des Bretons se disent aujourd’hui « sans religion », encore que cette appellation puisse recouvrir des rapports très différents au religieux, de « l’automédication », en passant par l’hostilité, jusqu’à l’indifférence pure et simple (p. 277) ((. Sauf indication contraire, les numéros de pages renvoient au second volume cité.)) . Il est clair, en tous les cas, que le « plateau du conformisme social » penche de moins en moins du côté du catholicisme, dans une région qui a longtemps fait figure de bastion catholique ou de « chrétienté », selon l’acception donnée à ce mot par le chanoine Boulard. Comme le rappelle Y. Tranvouez, une chrétienté, pour le sociologue des religions, se caractérise par l’assiduité aux offices, la fidélité aux rites, le respect au moins affiché de la morale catholique et l’autorité reconnue à un clergé nombreux et visible. La baisse souvent spectaculaire de ces indicateurs, en Bretagne, comme dans d’autres bastions étudiés par les auteurs (Suisse romande, Québec, Irlande, Belgique…), constitue l’indice de la décomposition d’une « chrétienté », mais les auteurs n’entendent pas pour autant prophétiser la disparition complète du catholicisme dans ces régions ((. Sur ce sujet, voir le volume La décomposition des chrétientés occidentales, pp. 12 et 13.)) . Toutefois, si leur enquête sur les catholiques pratiquants dans le diocèse de Quimper s’est heurtée au scepticisme et à l’absence d’intérêt de l’évêque du lieu (p. 13) c’est sans doute autant parce qu’il craignait d’avoir à commenter de mauvais chiffres quant au nombre et à l’âge des fidèles réguliers, le Finistère étant plus que les autres départements bretons touché par la « décomposition », que parce que la méthode purement statistique et extérieure adoptée par les auteurs ne peut – et ne veut – rendre compte de certains renouveaux qualitatifs, qui donnent pourtant des raisons d’espérer.
Les deux volumes permettent, malgré tout, de faire le point sur la crise effectivement visible de cette chrétienté particulière qu’est la Bretagne, doublée d’une crise de l’Eglise, dont la suspense de l’évêque de Quimper et Léon, intervenue en mai dernier dans une optique de « pacification » du diocèse, est une des manifestations les plus récentes. C’est au fond, à plus d’un titre, la faillite d’une génération, la génération conciliaire. La démographie cléricale locale est désormais catastrophique. « Démographiquement parlant, la quasi disparition du clergé n’est pas qu’une hypothèse d’école » (p. 19). Les catholiques bretons s’habituent déjà à la « présence de prêtres étrangers, venus des pays de l’Est, d’Afrique, de Madagascar ou d’Haïti, pour pallier le déficit du recrutement local » (p. 276). Malgré tout, le nombre de prêtres devrait continuer à décroître et les laïcs à prendre une part croissante dans les activités ecclésiales qui ne nécessitent pas la consécration, notamment la conduite des funérailles. L’article de L. Laot consacré à la reconfiguration du personnel diocésain attire toutefois l’attention sur une possible crise du laïcat engagé et une pénurie inattendue de bonnes volontés qui se fait sentir déjà ici et là (pp. 79–83). A tous ceux qui sont tentés de considérer que le laïc est la relève naturelle du « prêtre tridentin », célibataire consacré, ces ouvrages donneront donc, peut-être malgré eux, de quoi réfléchir. L’usage des rites catholiques structurant les moments-charnières de la vie – baptême des nouveaux-nés, mariage religieux et funérailles – accuse une baisse régulière. […]