Revue de réflexion politique et religieuse.

Luc Her­mann, Jules Girau­dat : Jeu d’influences

Article publié le 9 Déc 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Complé­tant deux émis­sions docu­men­taires de France 5 (« Le monde en face : jeu d’influences, les stra­tèges de la com­mu­ni­ca­tion »), cette enquête porte sur les méthodes de per­sua­sion clan­des­tine impor­tées  des Etats-Unis. L’un des pre­miers grands experts, Edward L. Ber­nays, écri­vait en 1928 dans Crys­tal­li­zing Public Opi­nion : « La mani­pu­la­tion consciente, intel­li­gente, des opi­nions et habi­tudes orga­ni­sées des masses, joue un rôle impor­tant dans une socié­té démo­cra­tique. Ceux qui mani­pulent ce méca­nisme social imper­cep­tible forment un gou­ver­ne­ment invi­sible qui dirige véri­ta­ble­ment le pays ». Ce neveu et dis­ciple de Freud par­ti­ci­pa notam­ment au Com­mit­tee on Public Infor­ma­tion (CPI) que le pré­sident Wil­son avait char­gé de pré­pa­rer les esprits à l’entrée en guerre des Etats-Unis, en 1917. Aujourd’hui, les conseillers en com­mu­ni­ca­tion (« spin doc­tors ») traitent une large part de l’information dans tous les domaines, don­nant aux jour­na­listes les « élé­ments de lan­gage » per­met­tant l’émergence d’un pro­duit, d’une idée, d’une euphé­mi­sa­tion trom­peuse (le « mariage pour tous », par exemple), etc. Luc Her­mann avait déjà réa­li­sé des docu­men­taires sur les tech­niques de mani­pu­la­tion des masses (Koso­vo, en 1999 ; Irak en 2003). Ici, avec son col­lègue de l’agence Pre­mières lignes, il décrit les stra­té­gies et les acteurs les plus actuels. Ain­si Sacha Man­del, conseiller du ministre de la Défense. A l’école de l’ancien conseiller de Bill Clin­ton, James Rubin, selon lequel le « plus grand défi, c’est de rendre la guerre attrac­tive pour ne pas perdre le sou­tien de l’opinion », ce per­son­nage, disent les auteurs, a « ven­du à l’opinion publique la guerre menée par la France au Mali, et l’opération de frappes contre le régime syrien, avor­tée in extre­mis ». Sans aucune com­pé­tence ni habi­li­ta­tion légale, il a pu par­ti­ci­per aux réunions mili­taires au plus haut niveau, et uti­li­ser les docu­ments réser­vés qui lui conve­naient pour légi­ti­mer des frappes aériennes fran­çaises sous contrôle amé­ri­cain contre le régime d’Assad. Inutile de rap­pe­ler que ces ser­vices ont un coût, exor­bi­tant, payé par ceux-là mêmes qu’ils ont mis­sion de mani­pu­ler – les contri­buables. Il reste une inter­ro­ga­tion : les jour­na­listes d’investigation qui se livrent à cette pas­sion­nante enquête se rendent-ils compte qu’ils décrivent ain­si le fonc­tion­ne­ment ordi­naire de la « démo­cra­tie réelle », qui n’est pas sans rap­pe­ler celui, sans doute plus pri­mi­tif, du « socia­lisme réel » ?

-->