Luc Hermann, Jules Giraudat : Jeu d’influences
Complétant deux émissions documentaires de France 5 (« Le monde en face : jeu d’influences, les stratèges de la communication »), cette enquête porte sur les méthodes de persuasion clandestine importées des Etats-Unis. L’un des premiers grands experts, Edward L. Bernays, écrivait en 1928 dans Crystallizing Public Opinion : « La manipulation consciente, intelligente, des opinions et habitudes organisées des masses, joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays ». Ce neveu et disciple de Freud participa notamment au Committee on Public Information (CPI) que le président Wilson avait chargé de préparer les esprits à l’entrée en guerre des Etats-Unis, en 1917. Aujourd’hui, les conseillers en communication (« spin doctors ») traitent une large part de l’information dans tous les domaines, donnant aux journalistes les « éléments de langage » permettant l’émergence d’un produit, d’une idée, d’une euphémisation trompeuse (le « mariage pour tous », par exemple), etc. Luc Hermann avait déjà réalisé des documentaires sur les techniques de manipulation des masses (Kosovo, en 1999 ; Irak en 2003). Ici, avec son collègue de l’agence Premières lignes, il décrit les stratégies et les acteurs les plus actuels. Ainsi Sacha Mandel, conseiller du ministre de la Défense. A l’école de l’ancien conseiller de Bill Clinton, James Rubin, selon lequel le « plus grand défi, c’est de rendre la guerre attractive pour ne pas perdre le soutien de l’opinion », ce personnage, disent les auteurs, a « vendu à l’opinion publique la guerre menée par la France au Mali, et l’opération de frappes contre le régime syrien, avortée in extremis ». Sans aucune compétence ni habilitation légale, il a pu participer aux réunions militaires au plus haut niveau, et utiliser les documents réservés qui lui convenaient pour légitimer des frappes aériennes françaises sous contrôle américain contre le régime d’Assad. Inutile de rappeler que ces services ont un coût, exorbitant, payé par ceux-là mêmes qu’ils ont mission de manipuler – les contribuables. Il reste une interrogation : les journalistes d’investigation qui se livrent à cette passionnante enquête se rendent-ils compte qu’ils décrivent ainsi le fonctionnement ordinaire de la « démocratie réelle », qui n’est pas sans rappeler celui, sans doute plus primitif, du « socialisme réel » ?