Lectures : Des nations unies aux religions unies ?
Notre époque se considère comme hyper-rationnelle car technoscientifique à l’extrême. Elle ne l’est pourtant pas, ce qu’illustrent à la fois sa naïveté et son besoin d’une sagesse compatible avec une culture de supermarché. Les horoscopes fleurissent dans les magazines ; les gourous prospèrent ; la crédulité humaine garantit de confortables revenus à des charlatans parfois auto-intoxiqués. Dans leur version un peu intellectuelle, ceux-ci se parent volontiers de développement personnel, de traditions orientales, de biopsychologie, d’écologisme, de méta-humanité, de fusion dans le grand tout plus ou moins mâtiné d’un vague panthéisme ou d’eschatologie millénariste de boule en cristal. On aura reconnu les ingrédients à la base de mouvements comme le New Age. Cette bouillie mérite-t-elle qu’on s’y intéresse ? Nous ne pouvons retenir un mouvement de sympathie pour ceux qui répondent par la négative, mais un ouvrage mis récemment à disposition sur la Toile a le mérite de proposer un abondant matériau dans un cadre solide ((. Lee Penn, False Dawn, The United Religion Initiative, globalism and the quest for a one-world religion, [Fausse aurore. L’Initiative pour une religion unifiée, le mondialisme et l’aspiration à une religion universelle] Sophia Perennis, 2004, USA, 508 p. L’ouvrage est disponible gratuitement en ligne (www.leepenn.org/FalseDawn_np.pdf), ce qui rend nos citations faciles à retrouver ; contrairement à notre habitude, nous ne mentionnerons donc pas les pages dont elles sont tirées. )) .
Ajoutons que ce False Dawn constitue un document sur l’Amérique religieuse non seulement par son objet mais aussi par sa forme. Son auteur, Lee Penn (le nom pourra faire sourire un Français, mais ce n’est pas une blague) témoigne constamment de son engagement catholique ; il se place explicitement dans la ligne de Pascendi, ce qui n’est pas si fréquent ; il n’évite pas certains risques méthodologiques ou emprunte quelques raccourcis : cela fait autant d’écarts aux canons universitaires en vigueur, dont il n’est parfois pas déplaisant de s’affranchir. Plus surprenant, mais sans doute aussi très américain, Lee Penn a choisi un préfacier musulman, et un éditeur au moins suspect – traditionaliste au sens guénonien du terme, et Lee Penn lui-même est bien indulgent envers René Guénon.
Lee Penn centre son propos sur un mouvement peu connu chez nous, l’United Religion Initiative (URI). L’URI est née dans le courant des années 1990 sous l’impulsion de l’« évêque » épiscopalien de Californie, William Swing (né en 1936), se définissant lui-même comme « entrepreneur spirituel » et détaillant volontiers le montant de ses investissements ((. Cf. http://www.sfgate.com/news/article/Bishop-William-Swing-wants-a-U-N-for-religions2452180.php. )) . Swing entend donner aux religions unies la visibilité et la stature des nations unies, mais, comme la route reste longue on parle d’initiative, pas encore d’organisation. Il s’agit d’œuvrer tous ensemble pour la justice, la paix, la planète, la liberté religieuse, la croissance de ses convictions propres au sein d’une communauté globale, décentralisée, accueillant des individus ou des groupes de toutes les croyances possibles, qui sont toutes respectées et encouragées, seul le prosélytisme étant exclu. La question du salut éternel est considérée comme également résolue une fois pour toutes et pour tous, ou bien passée aux pertes et profits.
En elle-même, l’URI n’est pas tellement avant-gardiste et l’on peut même mettre en doute son rôle de catalyseur d’une révolution religieuse à venir. C’est un épiphénomène révélateur d’une tendance de fond, à savoir l’envahissement de l’espace par des pseudo-spiritualités sans Dieu, qui nous promettent tous les avantages de l’abandon à la Providence sans les exigences induites par la foi en un Dieu personnel. […]