Revue de réflexion politique et religieuse.

Vati­can II et le concept de pas­to­ra­li­té

Article publié le 10 Déc 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Le père Sera­fi­no Maria Lan­zet­ta, membre de la congré­ga­tion des fran­cis­cains de l’Immaculée ((. Congré­ga­tion aujourd’hui sou­mise à une opé­ra­tion de déman­tè­le­ment par­ti­cu­liè­re­ment cho­quante en ces temps de misé­ri­corde pro­cla­mée. Cf. entre autres Andrea San­dri, « L’affaire des fran­cis­cains de l’Immaculée. Une ini­tia­tive ita­lienne », dans le n. 123 de Catho­li­ca (prin­temps 2014), pp. 71–74.)) , doc­teur en théo­lo­gie, enseigne à la facul­té théo­lo­gique de Luga­no (Suisse). Il vient de publier sa thèse d’habilitation, Il Vati­ca­no II, un conci­lio pas­to­rale. Erme­neu­ti­ca delle dot­trine conci­lia­ri ((. Can­ta­gal­li, Sienne, avril 2014, 490 p., 25 €. )) . Nous avons pré­cé­dem­ment inter­ro­gé un autre théo­lo­gien, Mgr Flo­rian Kolf­haus, à pro­pos du carac­tère très dif­fé­ren­cié des textes conci­liaires ((. « Vati­can II fut-il un bloc ? », Catho­li­ca n. 124 (été 2014), pp. 69–77. )) , marque par­mi d’autres du carac­tère aty­pique des tra­vaux issus des quatre ses­sions romaines de 1962 à 1965.
Le P. Lan­zet­ta s’intéresse aus­si à ce thème, mais concentre sa réflexion sur la notion de « pas­to­ra­li­té », expres­sion poly­sé­mique riche d’effets induits, et notion clé pour suivre les échanges et prises de posi­tion atten­dus du synode romain sur la famille. L’entretien qu’il nous accorde ici devrait aider à faire com­prendre l’importance métho­do­lo­gique de cette ques­tion et atti­rer l’attention sur bien des impasses actuelles.

Catho­li­ca — Le concile Vati­can II pose avant tout un pro­blème épis­té­mo­lo­gique, plus encore que théo­lo­gique. Et même, à pro­pre­ment par­ler, il pose un pro­blème qui, en tant que théo­lo­gique, est en même temps néces­sai­re­ment épis­té­mo­lo­gique : s’agit-il d’interpréter les docu­ments, ou bien sim­ple­ment de les com­prendre ? L’interprétation elle-même est en effet un pro­blème, que ce soit dans la pers­pec­tive moderne construc­ti­viste, ou dans celle de la post­mo­der­ni­té décons­truc­ti­viste. Plu­tôt qu’une solu­tion, toute inter­pré­ta­tion devient elle-même un pro­blème au sein d’un pro­blème. Que pen­sez-vous sur ce sujet, à la lumière de ce que vous avez étu­dié ?

P. Sera­fi­no Maria Lan­zet­ta — L’herméneutique, c’est-à-dire l’interprétation d’un texte – dans notre cas, celle d’un texte magis­té­riel – n’est jamais la solu­tion d’un pro­blème, mais seule­ment l’instrument pour arri­ver à la solu­tion, ren­voyant à un fon­de­ment qui pré­cède l’interprétation et le sort même du texte : ce fon­de­ment est la foi de l’Eglise, le déve­lop­pe­ment orga­nique de sa doc­trine. A mon avis le pro­blème est double. Tout d’abord, il faut se rendre compte qu’il y a un pro­blème d’interprétation des textes du concile Vati­can II. Ces textes – comme n’importe quels autres – sont objet d’une double inter­pré­ta­tion selon la méthode adop­tée  : celle de la dis­con­ti­nui­té ou de la rup­ture, et celle de la conti­nui­té dans la réforme, comme l’appelait le pape Benoît XVI. En d’autres termes, le choix de l’approche her­mé­neu­tique dépend de notre concep­tion préa­lable de l’Eglise. Celle-ci est-elle une per­ma­nente syno­da­li­té qui prend conscience d’elle-même au cours de l’histoire par le biais de la convo­ca­tion extra­or­di­naire d’un concile, ou bien un mys­tère qui pré­cède le temps et s’incarne dans l’histoire pour ensuite la dépas­ser dans l’éternité ? D’un point de vue théo­lo­gique, il s’agit de don­ner à l’herméneutique, qui en elle-même est née dans un contexte exis­ten­tia­liste et post­mé­ta­phy­sique, un fon­de­ment objec­tif dans le mys­tère que l’on veut étu­dier : dans le cas pré­sent, un concile en rela­tion avec l’Eglise. Sans cela le risque existe de trans­for­mer la méthode en solu­tion, dans une inter­pré­ta­tion inter­mi­nable et par­ti­sane. Une fois pré­ci­sée l’approche fon­da­men­tale de la méthode her­mé­neu­tique, thème typique de la moder­ni­té, on peut éclai­rer ensuite une autre pro­blé­ma­tique. Il ne suf­fit pas, en effet, de mettre au clair l’approche her­mé­neu­tique et de choi­sir celle qui s’accorde avec le sujet, mais il est éga­le­ment néces­saire d’en arri­ver au texte lui-même, aux textes conci­liaires donc, en sui­vant la méthode her­mé­neu­tique rete­nue. Autre­ment dit, il ne suf­fit pas d’opter pour l’herméneutique de la conti­nui­té dans la réforme pour dire que le pro­blème des textes de Vati­can II est réso­lu – étant admis qu’il soit recon­nu comme tel au point de vue épis­té­mo­lo­gique –, il faut ensuite l’appliquer de manière à faire voir la conti­nui­té, à la démon­trer, ou mieux, à la mon­trer. Si la méthode, l’approche, était elle-même la solu­tion et non le point de départ, il suf­fi­rait d’énoncer le pro­blème pour le résoudre. Pour beau­coup, il en va ain­si, mais de fait on n’a pas encore affron­té le pro­blème. En réa­li­té, si on lit atten­ti­ve­ment le dis­cours de Benoît XVI à la Curie romaine (22 décembre 2005), on voit com­ment le pon­tife, après avoir énon­cé le prin­cipe her­mé­neu­tique juste à l’encontre de celui erro­né de la rup­ture, cherche aus­si­tôt à l’appliquer en pre­nant l’exemple de la liber­té reli­gieuse. Il sou­ligne l’immuabilité des prin­cipes tan­dis que les formes his­to­riques qui les portent sont sujettes par elles-mêmes au chan­ge­ment : donc conti­nui­té dans les prin­cipes et muta­bi­li­té ou dis­con­ti­nui­té dans les formes his­to­riques. Le pro­blème, au juge­ment même de Benoît XVI, est d’arriver à coor­don­ner conti­nui­té et dis­con­ti­nui­té, qui se pré­sentent simul­ta­né­ment quoique à des niveaux dif­fé­rents. Aujourd’hui la situa­tion des années 1960–70 en Occi­dent est déjà for­te­ment chan­gée. A une grande confiance dans l’ouverture et la tolé­rance envers l’exercice de la liber­té reli­gieuse s’est sub­sti­tuée une impres­sion­nante agres­sion rela­ti­viste qui devrait sol­li­ci­ter le théo­lo­gien, qui devrait faire appa­raître de nou­velles pos­si­bi­li­tés pour un exer­cice cor­rect de la liber­té reli­gieuse au for externe, met­tant beau­coup plus l’accent sur la véri­té de Dieu que sur la seule pos­si­bi­li­té de choi­sir dans la varié­té du pano­ra­ma reli­gieux. Mais cela est un autre sujet. Reve­nons au pro­blème de la méthode. Il s’agit d’interpréter les docu­ments et de les lire à la lumière de la foi de l’Eglise, qui est le véri­table cri­tère clé à par­tir duquel il faut par­tir et le fon­de­ment auquel rame­ner toute inter­pré­ta­tion théo­lo­gique. J’ai dit qu’il ne suf­fi­sait pas d’énoncer le cri­tère her­mé­neu­tique que l’on adopte pour avoir la solu­tion. Cela vaut tant lorsqu’on uti­lise un cri­tère incor­rect comme celui de la dis­con­ti­nui­té fon­da­men­tale et de la rup­ture que quand on suit celui, cor­rect, de la conti­nui­té. Pre­nons un exemple. Par­tons d’un élé­ment doc­tri­nal conte­nu dans le décret sur l’œcuménisme Uni­ta­tis redin­te­gra­tio, n. 11, sur ce qu’on appelle la « hié­rar­chie des véri­tés ». Qu’est-ce que cela signi­fie ? Dans sa for­mu­la­tion, ce prin­cipe est quelque chose de nou­veau et de typique de Vati­can II. Il faut cer­tai­ne­ment inter­pré­ter cor­rec­te­ment cet énon­cé, qui à son tour sert de cri­tère d’interprétation du don­né révé­lé. Cela signi­fie-t-il qu’il existe des véri­tés hié­rar­chi­que­ment subor­don­nées parce que moins révé­lées que d’autres, ou moins obli­ga­toires que d’autres parce que moins impor­tantes ? Non, cer­tai­ne­ment pas, mais cela veut dire que dans la pré­sen­ta­tion des véri­tés révé­lées (défi­nies ou non par l’Eglise) toutes ne jouissent pas de la même rela­tion avec le fon­de­ment de la Révé­la­tion. Par exemple, l’Immaculée Concep­tion de Marie est liée à la Révé­la­tion de Dieu par la véri­té du péché ori­gi­nel et de la Rédemp­tion uni­ver­selle du Christ. Mais per­sonne ne se hasar­de­rait à dire qu’elle est moins impor­tante ou moins révé­lée que la véri­té de la Rédemp­tion uni­ver­selle. La hié­rar­chie des véri­tés est donc à lire dans l’optique de l’analogie des véri­tés et non de la subor­di­na­tion de telle véri­té à telle autre, au point de favo­ri­ser leur congé­la­tion pas­to­rale tem­po­raire ou défi­ni­tive. C’est pour­quoi, en uti­li­sant le cri­tère her­mé­neu­tique de la conti­nui­té du Concile avec toute la foi de l’Eglise, l’unique moyen de com­prendre cette « hié­rar­chie des véri­tés » est l’analogia fidei ((. L’analogie de la foi, c’est-à-dire la com­pré­hen­sion de chaque par­tie en cohé­rence avec l’ensemble des véri­tés de la foi. [ndlr] )) , et non l’inverse, comme font quelques théo­lo­giens qui veulent que la praxis pré­cède la théo­rie, que le dia­logue œcu­mé­nique pré­vale sur la véri­té de l’Eglise une et unique, l’unité des dis­ciples du Christ, invo­quée par le Sei­gneur lui-même, étant alors aujourd’hui plus impé­ra­tive que l’unité consti­tuée par le Christ. Le prin­cipe her­mé­neu­tique peut donc consti­tuer un pro­blème. L’unique façon de l’employer cor­rec­te­ment est de se lais­ser gui­der par ce que l’Eglise a tou­jours cru et vécu. En un mot, l’unique prin­cipe cor­rect d’interprétation de Vati­can II est la Tra­di­tion inin­ter­rom­pue de l’Eglise, laquelle nous pré­vient aus­si d’un autre risque : celui de rame­ner l’ensemble de Vati­can II à un pro­blème her­mé­neu­tique, à une adap­ta­tion plus ou moins réus­sie à la moder­ni­té qui fait de l’interprétation le pro­blème fon­da­men­tal, fai­sant oublier ain­si le vrai motif pour lequel un concile est convo­qué dans l’Eglise. A cin­quante ans de la der­nière assise œcu­mé­nique, il est temps désor­mais de faire place à la foi plus qu’à la seule inter­pré­ta­tion de Vati­can II.

De la lec­ture des docu­ments de Vati­can II il res­sort net­te­ment que c’est le Concile lui-même qui pose le pro­blème du Concile. Il suf­fi­rait de ren­voyer à la pre­mière note du pré­am­bule de Gau­dium et spes pour s’en rendre compte. Le Concile lui-même a besoin d’explications : le cas de la Nota expli­ca­ti­va prae­via ((. Note expli­ca­tive pré­li­mi­naire intro­duite d’autorité par Paul VI pour évi­ter de tirer du texte du cha­pitre III de Lumen gen­tium une inter­pré­ta­tion trop large de la col­lé­gia­li­té épis­co­pale. [ndlr]))  est emblé­ma­tique. Les textes conci­liaires mettent en évi­dence, objec­ti­ve­ment, les ques­tions qu’ils ouvrent. Le rap­pe­ler signi­fie sim­ple­ment prendre au sérieux les docu­ments. Inter­dire la dis­cus­sion (sur la base d’un obse­quium, un reli­gieux res­pect mal com­pris, fruit impli­cite d’une concep­tion irra­tio­na­liste du pou­voir) ne contri­bue cer­tai­ne­ment pas à cla­ri­fier les choses. L’interdiction de poser des ques­tions – comme l’a rap­pe­lé Eric Voe­ge­lin – est le propre des idéo­lo­gies d’origine gnos­tique. Cela est très dif­fé­rent de l’intelligence théo­lo­gique authen­tique, tou­jours dis­po­nible par elle-même à affron­ter ques­tions et dis­cus­sions. A quel point, selon vous, se situe l’approfondissement des pro­blèmes ain­si posés ?

Le pro­blème her­mé­neu­tique du concile Vati­can II n’apparaît pas seule­ment après, au cours de la phase de récep­tion du magis­tère conci­liaire, mais bien déjà dans le cours même des ses­sions. Il est très sur­pre­nant de voir com­ment le thème de la pas­to­ra­li­té du Concile, pré­sen­té par­fois comme aggior­na­men­to (un terme jamais uti­li­sé dans les dis­cours des pon­tifes au Concile, mais uti­li­sé par Jean XXIII en réfé­rence au Code de droit canon, dans son dis­cours d’indiction du Synode romain et par suite, du der­nier concile), a pu consti­tuer une clé per­met­tant de pas­ser des sché­mas pré­pa­rés en vue de la dis­cus­sion conci­liaire aux nou­veaux sché­mas nés – ce qui parais­sait légi­time – de la dis­cus­sion conci­liaire mais sur­tout des dis­putes théo­lo­giques aiguës entre experts. Par exemple, le sché­ma pré­pa­ra­toire De fon­ti­bus Reve­la­tio­nis, au juge­ment de beau­coup, fut éli­mi­né comme peu « pas­to­ral » et de plus ne répon­dant pas aux inten­tions de Jean XXIII dans son dis­cours d’ouverture Gau­det mater Eccle­sia. Ce pro­cé­dé fut repris comme un leit­mo­tiv dans les dis­cus­sions. Le pro­blème était cepen­dant d’établir ce que l’on vou­lait dire par « pas­to­ral », et si effec­ti­ve­ment Jean XXIII vou­lait oppo­ser ce terme (com­pris qui plus est dans un sens nou­veau) à la manière de pro­cé­der des conciles œcu­mé­niques anté­rieurs. Tel fut le pro­blème sou­le­vé de temps à autre dans l’assemblée par les ora­teurs, sur­tout à pro­pos des sché­mas les plus impor­tants, notam­ment celui sur l’Eglise, et qui requé­raient une inter­pré­ta­tion de la pen­sée du pape. Ce qui par la suite condui­ra à inter­pré­ter la pen­sée du Concile lui-même. Et de fait, c’est sur­tout cette façon de prendre en consi­dé­ra­tion la pas­to­ra­li­té, en rela­tion avec le dis­cours d’ouverture, qui orien­te­ra la majo­ri­té conci­liaire et donc les votes. Voi­là pour­quoi il faut se deman­der ce que, dans l’esprit du Concile, signi­fie la pas­to­ra­li­té. Je ne me place pas dans le sillage de Chris­toph Theo­bald dans le milieu fran­çais, de Han­jo Sauer dans le milieu ger­ma­nique ni de Giu­seppe Rug­gie­ri en Ita­lie, qui font de la pas­to­ra­li­té même un prin­cipe her­mé­neu­tique de Vati­can II et lisent l’ensemble du dis­cours conci­liaire à sa lumière, mais je vois en revanche la pas­to­ra­li­té comme le pro­blème à résoudre, en indi­quant ce que je pense être l’unique voie vers une solu­tion, c’est-à-dire la clas­sique dis­tinc­tion entre dog­ma­tique et pas­to­rale. Cette der­nière tire sa rai­son d’être du dogme de la foi et de l’Eglise une et indi­vise (pour agir, il faut d’abord être), tou­jours capable, en même temps, de sol­li­ci­ter de nou­veaux appro­fon­dis­se­ments et éclair­cis­se­ments en rai­son des défis que nous ren­con­trons. La pas­to­rale ne peut pas deve­nir le motif her­mé­neu­tique du tour­nant conci­liaire en direc­tion d’une nou­velle Eglise, et donc vers une doc­trine plus faible adap­tée aux diverses situa­tions, tout sim­ple­ment parce que la pas­to­ra­li­té est en elle-même mutable car liée au temps et aux situa­tions concrètes, alors que la foi, conser­vée et annon­cée par l’Eglise, pré­cède le temps, l’illumine et le rachète. Il me semble que c’est là une ques­tion très actuelle et ouverte pour la théo­lo­gie : être capable de reprendre, en rai­son des temps nou­veaux, cet antique et har­mo­nieux binôme, qui tient que la doc­trine est pour la pas­to­rale, et la pas­to­rale pour le salut des gens ; en défi­ni­tive il s’agit de pla­cer dans leur ordre cir­cu­laire juste et sage la foi et la cha­ri­té, la rai­son et l’amour. L’intérêt his­to­rique et théo­lo­gique est crois­sant pour vou­loir com­prendre plus à fond com­ment les choses se sont réel­le­ment pas­sées. Et cela est sans aucun doute louable. Au cours des der­nières années, des ouvrages très utiles ont été réa­li­sés sur le thème de l’herméneutique de Vati­can II et sur­tout sur une thé­ma­tique préa­lable à toute éven­tuelle enquête théo­lo­gique : la cla­ri­fi­ca­tion de la dis­tinc­tion des élé­ments de l’enseignement conci­liaire selon la hié­rar­chie des docu­ments. Une consti­tu­tion dog­ma­tique n’est pas un décret ou une décla­ra­tion. Il a été plu­sieurs fois pré­ci­sé que les piliers de tout le magis­tère de Vati­can II sont les deux consti­tu­tions dog­ma­tiques, Lumen gen­tium sur l’Eglise, et celle sur la Révé­la­tion, Dei Ver­bum ; puis viennent la consti­tu­tion Sacro­sanc­tum conci­lium sur la litur­gie et la consti­tu­tion pas­to­rale Gau­dium et spes. Ces quatre consti­tu­tions, comme on le voit déjà, ont une por­tée doc­tri­nale dif­fé­rente : Gau­dium et spes ne relève pas stric­to sen­su de la doc­trine, du moins dans sa tota­li­té, à la dif­fé­rence de Lumen gen­tium. Elle pré­sup­pose plu­tôt des prin­cipes doc­tri­naux : elle est une parole de l’Eglise s’adressant au monde, afin d’exposer la façon dont elle entend sa pré­sence dans le pano­ra­ma contem­po­rain – d’alors, car aujourd’hui il est déjà chan­gé. Cela fait sur­gir les pre­mières dif­fi­cul­tés, ce qu’indique la pre­mière note que vous avez rap­pe­lée, sur le texte de la consti­tu­tion pas­to­rale. Il est déjà dif­fi­cile en soi d’accoler les deux termes qui défi­nissent ce docu­ment, « consti­tu­tion », et « pas­to­rale ». Evi­dem­ment, le Concile adopte alors un mode d’enseignement nou­veau, qui doit ensuite néces­sai­re­ment être pris en consi­dé­ra­tion par une her­mé­neu­tique pro­por­tion­née. Si de plus on observe les deux consti­tu­tions dog­ma­tiques, on se rend compte qu’à l’intérieur de cha­cune se trouvent plu­sieurs niveaux d’enseignement, même si l’on tient compte du fait sui­vant : la teneur géné­rale de l’enseignement est solennel/extraordinaire ou suprême du point de vue de son sujet (un concile œcu­mé­nique) et authentique/ordinaire quant à la matière ensei­gnée, dédui­sant cela de son expo­sé ini­tial ou de sa reprise ulté­rieure, et de la manière selon laquelle elle est expo­sée. Si l’on veut com­prendre le concile Vati­can II, il faut sou­vent faire des dis­tinc­tions et ne pas rame­ner tout à une réa­li­té unique.

Il faut aus­si prendre en compte un autre fac­teur pour abor­der cor­rec­te­ment les docu­ments : sou­vent, une décla­ra­tion ou un décret reprend et appro­fon­dit les thèmes conte­nus dans les consti­tu­tions. Pen­sez par exemple au thème de l’œcuménisme et donc à la rela­tion entre l’Eglise du Christ, l’Eglise catho­lique, et les autres com­mu­nau­tés ou Eglises chré­tiennes telle que l’approfondit Uni­ta­tis redin­te­gra­tio par rap­port à Lumen gen­tium. Cela veut aus­si dire qu’une consti­tu­tion dog­ma­tique n’est pas un texte clos et défi­ni­tif ; c’est un texte qui se laisse com­plé­ter dans son ensei­gne­ment par un autre docu­ment de nature juri­dique infé­rieure ou par un thème déve­lop­pé ailleurs. Autre exemple, en sens inverse : celui du dia­co­nat per­ma­nent, trai­té dans Lumen gen­tium et repris avec des accents nou­veaux, mais aus­si pro­blé­ma­tiques, dans le décret Ad gentes sur les mis­sions (où l’on parle d’un « dia­co­nat de fait » qui n’existe pas). Qu’est-ce que cela signi­fie du point de vue her­mé­neu­tique ? Eh bien, que nous devons sur­tout être pré­cau­tion­neux dans la dis­tinc­tion entre la doc­trine, la manière d’enseigner, et la nature du docu­ment qui l’enseigne, en tenant compte de la fina­li­té du Concile presque tou­jours pré­sente, la pas­to­ra­li­té. D’autres thèmes encore méri­te­raient un renou­veau d’attention de la part de la théo­lo­gie. J’essaie de le mon­trer dans mon tra­vail. En étu­diant Vati­can II dans ses diverses phases, on constate un fait assez sin­gu­lier. Tan­dis que dans les débats en assem­blée, et sur­tout dans la Com­mis­sion doc­tri­nale, quelques doc­trines beau­coup plus récentes du point de vue de l’approfondissement théo­lo­gique et du par­cours magis­té­riel sont pro­po­sées – comme la col­lé­gia­li­té épis­co­pale, le dia­co­nat per­ma­nent marié, la sacra­men­ta­li­té de l’Eglise –, et cela avec un enga­ge­ment notable des experts théo­lo­giques à l’attention des Pères, et ensuite ensei­gnées, d’autres doc­trines en revanche, bien plus anciennes dans leur déve­lop­pe­ment dog­ma­tique au point qu’il était sou­vent pos­sible de les qua­li­fier de « com­munes » – le thème des limbes, la créa­tion, la ques­tion piège de l’évolutionnisme, l’appartenance à l’Eglise (com­ment lui appar­tient-on de manière par­faite, ou pleine ?) en rela­tion avec le rap­port entre mys­tère invi­sible ou Corps mys­tique du Christ et socié­té visible et hié­rar­chique, ou corps social et his­to­rique – ces autres doc­trines, donc, ont été délais­sées parce que consi­dé­rées comme encore insuf­fi­sam­ment mûres et à ren­voyer à la dis­cus­sion théo­lo­gique. Poser des ques­tions est le propre de toute science. La théo­lo­gie, qui est une science de la foi, doit donc être capable de sou­le­ver des ques­tions, non certes pour faire sienne la méthode car­té­sienne et vou­loir démon­trer la foi en la met­tant en dis­cus­sion, mais pour rendre clairs à la rai­son, dans la mesure du pos­sible, ses propres énon­cés et favo­ri­ser ain­si le déve­lop­pe­ment de l’intellectus fidei : lire la foi de l’intérieur, et pour ain­si dire entrer en elle. Ce qui importe cepen­dant, ce n’est pas de poser des ques­tions, mais de poser des ques­tions justes. De mon côté c’est ce que je sou­haite avoir fait dans mon der­nier tra­vail, dans lequel j’ai cher­ché à for­mu­ler les inter­ro­ga­tions qui, à mon avis, demeurent encore non réso­lues mais qui revêtent une impor­tance spé­ciale en rai­son de leur objet.

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