Franciscains de l’Immaculée : un échec prévisible
[note : ce texte est paru dans le numéro 126 de catholica (hiver 2015]
Le pape Bergoglio affectionne les entretiens peu protocolaires accordés à la presse. Dernièrement (7 décembre 2014) il s’est confié à la journaliste argentine Elisabetta Piqué, le texte étant publié le lendemain dans le quotidien La Nación, de Buenos Aires. Parmi les sujets abordés, celui des « divorcés remariés ». « Ils ne sont pas excommuniés, c’est vrai. Mais ils ne peuvent pas être parrains de baptême, ils ne peuvent pas faire la lecture à la messe, ils ne peuvent pas donner la communion, ils ne peuvent pas faire le catéchisme, ils ne peuvent… il y a comme ça sept choses, j’ai la liste ici, mais assez ! Si je compte tout, ils sembleraient bien excommuniés de facto ! Alors il faut ouvrir un peu plus les portes. Pourquoi ne peuvent-ils pas être parrains ? « Non, mais rends-toi compte, quel témoignage ils vont donner au filleul !» Prenons le cas d’un homme ou d’une femme qui lui disent : « Ecoute, mon chéri, je me suis trompé, j’ai dérapé sur ce point, mais je crois que le Seigneur m’aime, je veux servir Dieu, le péché ne m’a pas vaincu, je vais de l’avant ». Est-ce qu’il y a un témoignage plus chrétien que celui-là ? Ou si arrive un de ces escrocs de politiciens que nous avons, des corrompus, pour être parrain, et qui est bien marié à l’église, vous l’acceptez ? Et quel témoignage donnera-t-il au petit filleul ? Un témoignage de corruption ? Alors, nous devons changer un peu les choses dans la manière de juger. »
La compréhension la plus large transpire du propos, se fondant sur une intuition privilégiant une forme de bon sens placé au-dessus de la loi, fût-elle celle du Christ. Ainsi se définit l’image compassionnelle que les grands médias se plaisent à saluer et répandre, non sans fondement objectif.
Pour des raisons obscures, au moins à première vue, la compassion s’applique toutefois inégalement. Le cas des Frères franciscains de l’Immaculée (FFI) en donne certainement la plus choquante illustration. Malgré le silence qui leur est imposé et qu’ils acceptent de respecter, et peut-être même à cause de cela, leur situation est désormais connue de par le monde et crée une gêne.
La nouvelle la plus récente à leur sujet a été annoncée par le journaliste Marco Tosatti, dans le quotidien turinois La Stampa du 20 novembre 2014 ((. Reproduit sur http://www.lastampa.it/2014/11/20/blogs/san-pietro-e-dintorni/ffi-la-cei-scriveai-vescovi-0epwWCOl8ttfO0K9XjaktK/pagina.html. )) . Elle a agité le milieu ecclésiastique italien, surtout romain, avant d’être répercutée sur divers sites. Le père Volpi, ofm cap., commissaire apostolique en charge de la rectification des FFI, présent à l’assemblée plénière de la Conférence épiscopale italienne (CEI) mi-novembre, a averti les évêques qui seraient « tentés » d’accueillir dans leur diocèse des prêtres de la congrégation désireux de quitter leur ordre. Le nouveau secrétaire général de la CEI, Mgr Galantino, a appuyé cette démarche d’une lettre à ses confrères leur « rappelant » l’obligation canonique de devoir contacter le commissaire préalablement à l’examen de la demande d’incardination venant de prêtres FFI. Il semble que grande soit la crainte de voir se multiplier de tels départs et plus encore l’acceptation de divers évêques de couvrir des religieux dont il apparaît clairement qu’ils sont injustement traités, sans qu’aucun grief n’ait jamais été formulé clairement, ni canoniquement, à leur encontre.
Un site ouvert depuis juin 2014 ((. Cf. http://veritacommissariamentoffi.wordpress.com/2014/11/17/senza-istituzione-non-ce-carisma/. )) , dont le ou les responsables ne sont pas identifiés, a encore accentué le message, peu après la tenue de l’assemblée de la CEI, dans des termes qui retiennent l’attention.
« Un groupe (25+25) prêtres et anciens étudiants » des FFI a pris contact avec certains évêques diocésains pour qu’ils les accueillent. « Cette demande a suscité réserves et perplexité de la part des pasteurs des Eglises locales parce qu’elle s’est avérée non conforme au désir naturel de transformer une vocation [religieuse] individuelle en celle de prêtre diocésain, étant un stratagème pour se soustraire à l’autorité de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et à celle du Commissaire apostolique en pleine phase de vérification canonique, doctrinale, disciplinaire et financière. Le but final des demandes d’incardination diocésaine apparaît clair : c’est la constitution d’une plate-forme de lancement, si possible off-shore, comme celle de l’archidiocèse de Lipa aux Philippines, ou dans un diocèse de minorité catholique, comme en Angleterre, en vue de regrouper des clercs ordonnés in sacris et d’ex-séminaristes FFI dans l’attente d’un changement de cap dans l’actuel gouvernement de l’Eglise universelle qui n’existe que dans les mirages mentaux auxquels n’échappent pas des polémistes tels qu’Antonio Socci », etc. Le ton polémique et menaçant n’hésite pas à incriminer ceux des ecclésiastiques qui pourraient avoir la « faiblesse » de venir en aide aux religieux concernés, d’imiter, par exemple, la « complicité du fortement discuté cardinal Franc Rodé » qui avait accepté de porter une requête au pape François pour que les religieux désireux de célébrer selon l’ancien Ordo puissent relever de la Commission Ecclesia Dei.
Il est remarquable que ce site anonyme soit à la fois étonnamment bien informé et d’une violence de langage non dissimulée, dirigée principalement contre tous ceux qui sont amenés à manifester ne serait-ce que leur étonnement devant les procédés dont sont victimes des religieux dont l’image principale est la stricte observance de la vocation franciscaine. Pourquoi cette hargne, alors même que le nombre des religieux en cause est restreint, et les espérances qui leur sont prêtées purement imaginaires ? On peut émettre l’hypothèse qu’elle puisse traduire un certain dépit devant la multiplication des réactions de réprobation face à la somme d’irrégularités commises, et un traitement en forme de deux poids, deux mesures. Comparativement, en effet, l’action répressive à l’encontre des FFI – dont les fautes supposées n’ont jamais été précisées autrement que par voie d’insinuations vagues –, d’une part, et de l’autre, l’assainissement de la situation des Légionnaires du Christ, pour prendre un cas pour le moins fortement différent, ne se ressemblent nullement. Cette dernière société, fondée par un imposteur scandaleux, est traitée avec beaucoup de lenteur, selon des procédures canoniques régulières et avec de grandes précautions afin d’éviter de porter atteinte à d’authentiques vocations.
Il est probable qu’avec le temps, la rage destructrice exercée contre des religieux à qui l’on reproche avant tout leur état d’esprit « trop » traditionnel (devenu pour les besoins de la cause « crypto-lefebvriste » sinon ultracatholique!) n’ayant pas réussi à atteindre l’objectif recherché puisse bien produire un effet inverse de celui que poursuivent ceux qu’elle anime.