Revue de réflexion politique et religieuse.

Com­men­taires : Le renon­ce­ment du Louvre

Article publié le 14 Jan 2015 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

[note : cet article est paru dans le numé­ro 126 de catho­li­ca]

Si les déci­sions prises par la nou­velle direc­tion de Louvre n’étaient pas amen­dées, le « musée le plus fré­quen­té du monde » devien­drait un musée par­tiel et par­tial.
En effet, en 2010, le pou­voir exé­cu­tif d’alors avait déci­dé de créer au Louvre un dépar­te­ment consa­cré aux arts des chré­tien­tés d’Orient, des empires byzan­tins et slaves, déci­sion enté­ri­née par le conseil d’administration de l’établissement public du musée, alors pré­si­dé par Hen­ri Loy­rette. La créa­tion de ce dépar­te­ment fut annu­lée le 15 avril 2013, jour de la prise de fonc­tion du nou­veau pré­sident du Louvre, Jean-Luc Mar­ti­nez. C’est dire si cette déci­sion a été prise rapi­de­ment « sans qu’ait été menée une réflexion appro­fon­die » comme le déplore dans une lettre à La Croix l’ancienne res­pon­sable de la sec­tion copte au Louvre et conser­va­teur géné­ral hono­raire du patri­moine, Marie-Hélène Rut­schows­caya ((. La Croix, 7 avril 2014. )) .
Celle-ci montre qu’on ne peut, pour jus­ti­fier cette sup­pres­sion, invo­quer des rai­sons d’économie. L’opération avait été pré­vue à bud­get constant, le per­son­nel néces­saire se trou­vant déjà au sein du Louvre. On ne man­quait pas d’espace non plus (le futur dépar­te­ment devait occu­per l’aile Riche­lieu) et les œuvres étaient déjà en pos­ses­sion du musée ((. Les esti­ma­tions qui cir­culent font état de 11 000 pièces (10 000 œuvres coptes et un mil­lier de byzan­tines et post-byzan­tines). )) . Or elles sont actuel­le­ment pré­sen­tées, lorsqu’elles le sont, dans un joyeux désordre, dis­per­sées dans huit dépar­te­ments. Elles couvrent l’Europe orien­tale (Grèce, Bal­kans, Ukraine, Armé­nie), la Rus­sie, le Proche-Orient chré­tien (Liban, Palestine,Syrie…) et l’Égypte copte jusqu’au Sou­dan et à l’Éthiopie. Marie-Hélène Rut­schows­caya parle d’« aber­ra­tion » : des objets coptes sont conser­vés au dépar­te­ment des Anti­qui­tés grecques, étrusques et romaines, ou encore au dépar­te­ment des Objets d’art. Autre­ment dit, ces œuvres sont « décon­nec­tées de tout contexte his­to­rique et cultu­rel ». Le musée, en per­sé­vé­rant dans cette inco­hé­rence, orga­nise auprès du public comme des cher­cheurs l’invisibilité et l’illisibilité de ces œuvres et des cultures dont elles témoignent.
Le silence com­plet qui a entou­ré ce revi­re­ment étonne : qua­si­ment pas d’échos dans les grands médias. Que n’auraient-ils pas dit si l’on avait sup­pri­mé le pro­jet de dépar­te­ment des arts de l’Islam, celui du Musée des civi­li­sa­tions de l’Europe et de la Médi­ter­ra­née (Mucem, Mar­seille) ou celui des Arts pre­miers ?
Il semble que ce nou­veau dépar­te­ment ait été un sujet cli­vant dès ses pré­misses. Cer­tains conser­va­teurs auraient déplo­ré un regrou­pe­ment d’œuvres en fonc­tion de cri­tères reli­gieux. Voi­là des conser­va­teurs peu au fait de ce qui se pra­tique dans d’autres grands musées du monde, où une approche civi­li­sa­tion­nelle, et non pas confes­sion­nelle, est mise en place. Quel manque de ver­gogne dans l’invocation de ce cri­tère après l’ouverture d’un dépar­te­ment des arts de l’Islam ! On nous dit éga­le­ment que ce pro­jet aurait néces­si­té une impor­tante réor­ga­ni­sa­tion des autres dépar­te­ments et de leurs champs de com­pé­tences ; mais le dépar­te­ment des arts de l’Islam posait les mêmes pro­blèmes et cela n’a pas arrê­té le pro­jet.
Les expo­si­tions au musée du Louvre, Arme­nia sacra, Sainte Rus­sie et Chypre en 2013 montrent l’intérêt sus­ci­té par ces sujets. De plus l’actualité s’accélère au Proche-Orient et l’on ne peut plus dire, avec le minis­tère de la culture alors diri­gé par Auré­lie Filip­pet­ti, « que la créa­tion de ce dépar­te­ment n’[est] pas une urgence ». « Les évé­ne­ments dra­ma­tiques que nous connais­sons actuel­le­ment au Proche-Orient et en Europe de l’Est devraient nous inci­ter à être plus atten­tifs » concluait de son côté, en avril der­nier, Marie-Hélène Rut­schows­caya.
Depuis, l’Etat isla­mique (ou Daech) n’a ces­sé de sévir et l’on assiste à une des­truc­tion mas­sive et des hommes et du patri­moine cultu­rel des chré­tiens d’Orient, notam­ment en Syrie et en Irak. La lettre noûn stig­ma­tise, pour la per­sé­cu­tion, les chré­tiens comme autre­fois l’étoile jaune, les juifs. La France ne s’engagera-t-elle qu’à lar­guer des bombes alors que le com­bat contre l’ignorance est fon­da­men­tal ?
Car l’ignorance nour­rit le mépris et le mépris ali­mente la vio­lence. Il est temps que le devoir d’histoire vienne apai­ser et cor­ri­ger le devoir de mémoire car la mémoire est pas­sion­nelle, par­tielle et par­tiale.

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