Roberto de Mattei : Il Ralliement di Leone XIII. Il fallimento di un progetto pastorale
Le Ralliement ne s’est pas limité à la consigne donnée dans l’encyclique Au milieu des sollicitudes (16 février 1892), poussant les catholiques français à entrer dans la République afin d’en rectifier le cours. Il fut, comme le sous-titre de ce livre l’indique, un « projet pastoral » d’ampleur plus vaste, non limité à la France même si c’est elle qui en connut l’échec le plus immédiatement cuisant. R. de Mattei situe l’opération entre 1878 et 1903, mais elle a étendu bien au-delà ses effets à toute l’époque contemporaine, dans la mesure où cette politique aux aspects multiples a trouvé son unité dans la recherche d’un moyen de surmonter le conflit avec la modernité. Ce travail de l’historien italien est très estimable, notamment par le fait d’accorder une large place au contexte politique, ce qui permet d’entrer dans la psychologie des différents acteurs catholiques depuis l’époque du Second Empire. On apprécie la consultation de très nombreuses sources, ainsi que la cinquantaine de pages de documents annexés. Le chapitre V, sur « le diocèse de la libre pensée » et « la république du Grand Orient », a assurément une fonction clé du point de vue des données françaises, tandis que les suivants présentent les acteurs du parti de la conciliation, héritiers de Lamennais ou Maret, partisans d’une hypothétique troisième voie dont Lavigerie fut le plus représentatif partisan, avant d’être le premier à lancer l’opération du Ralliement. Un second volet s’élargit à la politique pontificale et ses rapports avec l’Italie en proie à une hostilité agressive des milieux ayant milité pour l’unité, mais aussi avec les autres puissances européennes, notamment la Prusse bismarckienne. L’année 1888 apparaît comme un apogée de la force morale de Léon XIII, avec la célébration grandiose du cinquantenaire de son ordination sacerdotale et la publication de l’encyclique Libertas, véritable synthèse antilibérale. En même temps R. de Mattei retient qu’il s’agit aussi de l’amorce d’un tournant, inspiré par la recherche concrète d’un modus vivendi avec la République, en l’absence d’autre projet immédiatement crédible, en raison de la grande faiblesse des monarchistes. Quant aux catholiques libéraux de l’époque, R. de Mattei note qu’ils n’étaient pas tant adhérents aux thèses du libéralisme philosophique que sensibles à l’idée que, politiquement, tout retour à un ordre de chrétienté relevait de l’utopie. Après l’échec patent du Ralliement apparaîtra une nouvelle génération de libéraux-catholiques venant gommer cette distinction : les abbés démocrates, la propagation de l’américanisme, le Sillon. Autre conséquence, peut-être plus lourde encore que l’émergence de ce foyer « moderniste social », le renforcement du grand parti des « modérés », ce « tiers parti formé par ces théologiens, philosophes et exégètes qui n’osèrent pas s’opposer aux novateurs mais, par crainte de passer pour « rétrogrades », commencèrent à consentir à toutes les concessions compatibles avec la stricte orthodoxie » (p. 292) avant de passer aux falsifications plus senties. On pourra discuter l’affirmation de Charles T’Serclaes, que l’auteur paraît reprendre à son compte, selon laquelle Léon XIII avait le projet de réconcilier l’Eglise et le monde moderne, ce qui ferait de lui le lointain inspirateur de Vatican II. Son intention n’était-elle pas plutôt de pousser les catholiques à pratiquer une tentative de conquête légale en vue de quelque révolution nationale avant la lettre ? Quoi qu’il en soit, ce fut un piège, probablement en raison du manque de but clair et d’unité entre les acteurs.