Pour une approche réaliste de l’art. La réalité matérielle et spirituelle contre l’infirmité naturaliste
« Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » (Jn 20:29)
La vérité est invisible. L’art, en particulier la peinture, en est la preuve. Encore faut-il s’entendre sur le sens des mots. Ce qui est invisible, c’est la foi, la liberté, la vie éternelle, tout ce qui déplace les montagnes, en un mot la beauté. La beauté est invisible, car elle relève pour une large part du domaine spirituelle.
Le paradoxe n’est pas nouveau. Il a occupé de nombreux penseurs, notamment ceux qui ont mis au point la théologie négative, lesquels soutiennent que si Dieu n’appartient pas au monde sensible, et que tout ce qui Le caractérise (en l’occurrence la beauté parfaite) est inaccessible à nos sens, c’est, dès lors, par l’exubérance du sensible, par la petitesse et la laideur, que l’on peut, a contrario, saisir ce que peut signifier la perfection de la beauté, l’incommensurable immensité du domaine divin. En un sens, ils pensent pouvoir transformer le plomb en or.
Cela dit, même si l’on réfute de telles prémisses, le paradoxe demeure. Entre la Terre et le Ciel, il y a effectivement un lien ; nous vivons sur terre dans l’espérance d’aller au Ciel. Mais, entre les deux, le lien n’est pas à proprement parler de continuité, ni surtout d’analogie. C’est un lien d’inclusion réciproque. La Création, donc la réalité, est à la fois matérielle et spirituelle. Chaque grain de poussière sur la terre contient la promesse (spirituelle en puissance) de notre vie éternelle. Et chaque vertu dans le Ciel contient la trace (matérielle en puissance) de notre vie mortelle. Entre les deux se tient le temps qui transforme (qui polit ou dégrade). Entre la Terre et le Ciel, il y a deux voies, c’est-à-dire qu’il y a deux moyens de concentrer ou sublimer le temps sans l’abolir : les sacrements et l’art.
Dans la doctrine chrétienne, les sacrements se situent explicitement à l’interface de la Terre et du Ciel. Ils sont matériels, dans la mesure où ils procurent un accès à la vie spirituelle. Ils sont spirituels, dans la mesure où ils sont capables de rendre meilleure la vie matérielle.
Quant aux images, leur place est plus difficile à cerner. Pourtant, les mêmes questions peuvent être posées au sujet des sacrement et des images. De quoi dépend la validité d’un sacrement, de quoi dépend la beauté d’une image ? Quelles sont les relations entre un sacrement et celui qui l’administre, et entre l’artiste et son œuvre ? Plus encore : en temps de crise, les sacrements et les images peuvent donner lieu à de sévères affrontements doctrinaux (en guise d’exemple, mentionnons simplement le donatisme, pour les sacrements, et l’iconoclasme, pour les images, ainsi que la réforme protestante qui combinent les deux domaines). Cela dit, en temps normal, la question des sacrements tend à se stabiliser, tandis que celle des images ne se sépare jamais d’une impression d’instabilité, d’incertitude. Qu’est-ce qu’une image ? Que vaut-elle ? À quoi sert-elle ? Que montre-t-elle et que dissimule-t-elle ?
C’est la raison pour laquelle une approche réaliste de l’art ne semble pas aller de soi. Au demeurant, nous sommes peut-être les victimes d’un aveuglement typiquement moderne (plus précisément : caractérisant la disposition d’esprit qui a triomphé avec la modernité). Au début, les choses étaient claires : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » C’est-à-dire, sans avoir vu avec leurs yeux. C’est-à-dire, sans avoir vu ce que leur yeux voient. C’est-à-dire, sans avoir vu, de la nature, ce qu’elle a de visible. La modernité, pourvoyeuse d’idéalisme (là est la disposition d’esprit évoquée plus haut), n’a pas pour autant facilité le détachement à l’égard des sens. Cela dit, la modernité n’est pas seulement la mentalité d’une époque (la nôtre), mais aussi, comme nous venons de le souligner, une certaine disposition d’esprit – dont on peut se libérer, ou encore que l’on peut bel et bien ignorer. Par exemple, sur un évangéliaire syriaque du XVIIIe siècle, c’est-à-dire de notre époque ou presque, le Christ et saint Thomas sont représentés en l’absence de tout environnement naturaliste, mais entourés d’une frise décorative. Tandis que saint Thomas veut voir et toucher les plaies du Christ pour y croire, le regard du lecteur se laisse guider dans l’entrelacs d’ornements qui décore la scène : la décoration (visible), dès lors qu’elle n’est pas naturaliste, dès lors qu’elle est stylisée par la raison, invite à entrer en contact avec la réalité invisible (le mystère de la Passion).
Cette double nature de l’image, à la fois narrative et décorative, illustre et témoigne de la double nature de la réalité, à la fois naturelle et surnaturelle, et de la double nature du temps, à la fois terrestre (la narration) et céleste (l’éternité).
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Non moins que celui de réalisme, les concepts de peinture moderne et de modernité artistique mériteraient d’être maniés avec prudence. De fait, les artistes dits modernes – au hasard, Puvis de Chavannes, Maurice Denis, Edward Hopper – étaient, pour la plupart, antimodernes. Au tournant du XXe siècle, ils ont compris l’impasse dans laquelle se trouvait l’art depuis la Renaissance. Avec un courage inouï, ils se sont mis à peindre en réfutant toutes les normes abstraites imposées depuis trois ou quatre siècles, à savoir la perspective, la proportionnalité, la psychologie. En un mot, le naturalisme. Ils souhaitaient rétablir avec le monde une relation réaliste. Le réalisme n’est pas un naturalisme. Il en est même le contraire. Si le naturalisme se contente de représenter ce que l’on voit, le réalisme représente ce qui est.
Or ce qui distingue, en principe, l’homme de l’animal, c’est de ne pas se contenter de l’apparence des choses (ce que l’on voit), autrement dit sa capacité, par la raison, à organiser la connaissance afin de reconnaître les essences (les catégories, ce qui peut être stylisé). À travers le naturalisme imposé dans les arts par la Renaissance, l’humanisme, en quelque sorte, est un « animalisme ». On peut aussi soutenir que l’humanisme contenait, en germe, une tendance au « machinisme » ou « robotisme » consistant, a contrario, à ne saisir que les essences et aucunement, non pas les apparences (superflues), mais les nuances (indispensables). Que ce soit pour le transformer en animal ou en machine, l’humanisme consiste étrangement à priver l’homme de ses capacités principales, la nuance et la classification – qui sont au fondement de toute hiérarchisation, donc de tout jugement de valeur –, autrement dit à le déshumaniser.
Une approche réaliste de l’art, en revanche, consisterait à ré-humaniser l’homme en se donnant en particulier trois objectifs : d’une part, dénoncer la confusion (ou supercherie) qui prétend assimiler le réalisme au naturalisme ; d’autre part, proposer une alternative à la domination de l’idéologie, qui prévaut depuis des siècles dans la théorie et l’histoire de l’art ; enfin, rompre avec le relativisme, qui est un dérèglement du rapport entre l’essence et la nuance.
De toute évidence, ce programme ne correspond pas à ce que l’on appelle, d’ordinaire, le « réalisme » (courant artistique apparu au XVIIe siècle). Il ne correspond pas non plus à son contraire. Il y a un véritable problème de terminologie. La sécularisation moderne a engagé, dans le domaine artistique notamment, d’un même élan la modification de la langue et la transformation de la pensée.
La théorie proposée ici part du constat suivant. Historiquement, la sécularisation moderne a entraîné un processus de déréalisation de l’art ; dès lors, dans les œuvres d’art, de même que dans les esprits et dans la vie courante, un temps abstrait (une succession d’instants sur une ligne de progrès) a remplacé le temps réel (l’imbrication organique d’une multitude de cycles). Ontologiquement, on peut donc mesurer le réalisme d’une œuvre d’art à son contenu de temps, lequel reflète la capacité à résister à la tentation de l’abstraction, plus précisément de l’instant abstrait. Le temps, en quelques sorte, est l’étalon auquel on peut mesurer la qualité, c’est-à-dire la réalité de l’art. Qu’est-ce que cela signifie ?
Nous allons expliciter cette théorie en la confrontant à trois aspects de la sécularisation moderne. Tout d’abord, la dégradation de la forme. Dans le sens aristotélicien, qui était encore celui de saint Thomas d’Aquin et de ses successeurs immédiats, le monde est constitué de matière sur laquelle souffle l’esprit qui donne la vie (la forme). La forme et la matière sont inséparables. En l’absence de forme, la matière demeure « informe » (amorphe), c’est-à-dire qu’elle n’est que néant. Au XVIe et surtout au XVIIe siècle, la pensée moderne a profondément modifié ces conceptions anciennes en transformant le sens du mot forme. Dans le sens moderne, la forme correspond à l’assemblage des parties. Dès lors, on peut envisager le fond et la forme séparément. Or, s’ils sont séparés, le fond et la forme s’analysent, s’opposent, s’articulent au gré des objectifs que l’on se donne. La communication se met en branle. D’ailleurs, l’art n’est pas en reste. Il communique – par exemple, la grandeur de tel ou tel prince. Ou, plus tard, la justesse de telle ou telle cause. Il néglige sa mission originale, consistant à l’enseignement des réalités matérielles et spirituelles, donc à l’édification (pensons par exemple aux icônes orientales, aux enluminures carolingiennes, aux fresques de Giotto dans la chapelle de Scrovegni, à Padoue, notamment sa représentation des sept péchés capitaux). Finalement, dans la mentalité moderne, la forme, bien que dégradée au rang subalterne de faire-valoir du fond, acquiert une autonomie redoutable, car la communication est un outil de propagande extrêmement efficace. Nous allons nous en rendre compte en abordant le deuxième aspect de la sécularisation.
Deuxième aspect : les idées se substituent à l’esprit. Naguère – nous venons de l’observer – la réalité était constituée, à la fois de réalité naturelle (matérielle, en quelque sorte) et de réalité surnaturelle (c’est-à-dire spirituelle, dans la mesure où l’esprit humain est transcendé). Nul n’aurait eu le toupet, par exemple, de remettre en cause la réalité d’un ange – une réalité purement spirituelle, donc surnaturelle. D’autres réalités était mixtes, par exemple, dans la maison, le coin du feu où le bois se consume et où repose l’esprit des ancêtres. Mais la sécularisation a soufflé sur les esprits et les a dispersés, les a fait fuir. À la réalité spirituelle, une pseudo-réalité immatérielle s’est substituée : les idées abstraites, sortant tout armées du cerveau humain, ont supplanté l’esprit (surnaturel). Dans le domaine artistique, ce phénomène a eu un impact très puissant. Autrefois, le mode d’expression de l’art était la métaphore, qui relie l’une à l’autre deux réalités (lesquelles peuvent être naturelles ou surnaturelles). Cela permettait de représenter le pur esprit qui, en principe, est invisible – par exemple une auréole au moyen d’un disque doré, toujours plat et placé derrière la tête. Dans Le Christ sauvant saint Pierre de la noyade (1370), Lorenzo Veneziano a représenté un des apôtres vu de dos, son auréole se trouve devant lui, littéralement collée à son nez. Cela peut choquer nos esprits modernes, formatés par des siècles de psychologie et de perspective naturaliste. Peu importe, l’esprit n’appartient pas à ce monde. Le disque d’or est la métaphore de la pureté spirituelle et celle-ci est d’une telle réalité que le disque est invariablement représenté de la même manière, quelle que soit la position du personnage. Restons dans le domaine de l’auréole et observons une œuvre moderne : l’Annonciation de Francesco del Cossa (1470). Au-dessus de la tête de l’ange se trouve un dispositif constitué de baguettes qui soutiennent une auréole représentée en perspective. Cet objet, en bois, symbolise une idée, celle d’auréole. C’est un accessoire de théâtre. Solution matérialiste. Par ailleurs, sur le même tableau, la sainte Vierge, quant à elle, est gratifiée d’une auréole qui n’est pas matérielle, mais qui n’est pas non plus le disque doré de jadis. Derrière sa tête se trouve une sorte de nimbe transparent, de forme circulaire légèrement bombée. Peut-être est-ce l’idée que l’on peut se faire d’une auréole ? On se dit : l’auréole étant spirituelle, elle doit bien être transparente. C’est-à-dire que l’on voit à travers. Mais alors, si elle est transparente, comment peut-on la voir et surtout la représenter en perspective ? Solution idéaliste. Sur un seul et même tableau, datant du XVe siècle, cohabitent, poussés à l’extrême, le matérialisme et l’idéalisme. Le symbole, par deux voies différentes, a remplacé la métaphore. Le monde moderne, ayant perdu l’intégrité réaliste, est représenté de manière à la fois matérialiste et idéaliste, annonçant des siècles, à la fois de luttes stériles (réciproques) et de connivence (ensemble, contre l’esprit).
Troisième aspect de la sécularisation : la généralisation et l’abstraction, l’instantanéité. Finalement, au monde traditionnel, réaliste et présent dans le temps, s’est substitué un monde moderne, idéaliste et présent dans l’instant. D’une conception humble, fondée sur le Vrai, le Bon et le Beau, nous sommes passés à une conception orgueilleuse, fondée sur la science et le droit positif. En ce qui concerne spécifiquement l’art, la beauté, aux temps jadis, se manifestait dans les cultures singulières, enracinée dans le temps. Le lieu de la création était la communauté humaine, qui naît, grandit, meurt : sujet de narrations concrètes. La notion de permanence, de son côté, était réservée à l’essence des choses, à la part éternelle de la réalité, correspondant au mode artistique de la stylisation (les fameux profils égyptiens, mais aussi, par exemple, toute l’esthétique médiévale, très pleine, luttant contre le néant, qui est l’essence du vide).
Aux temps modernes, la beauté, dégradée en reflet de l’intelligence humaine, se cantonne dans le temps présent. (Peut-elle toujours, dans ces conditions, être appelée beauté universelle ?) Cela dit, dans l’espace, le lieu de la création culturelle s’est élargi à l’humanité, sans limite, donc sans étendue. Mais les choses sont représentées dans un contexte naturaliste, leur essence, non stylisée, se dissout. L’homme ne craint plus rien, sinon – bientôt – lui-même (cela aussi apparaît dans l’art).
Ces deux conceptions antagonistes, respectivement ancienne et moderne, envisagent le rôle de l’art de façon très différente. Naguère, le rôle de l’art était de prendre contact avec la réalité dans le temps (des origines jusqu’aux fins dernières). L’étalon de l’art devait donc être le contenu de temps dans l’œuvre d’art (une combinaison de temps vécu et de temps éternel). Désormais, le rôle de l’art est de dire la vérité, de communiquer des idées. Dans le monde moderne, l’étalon de l’art est à la fois scientiste et relativiste. Ce qui pose un sérieux problème de cohérence, dont les observateurs attentifs de l’évolution de l’art jusqu’à nos jours ont pu se rendre compte. Le triomphe de la modernité a conduit de la représentation artistique ancienne d’une réalité vécue, singulière et universelle, à celle d’une « vérité » moderne, c’est-à-dire abstraite, excentrique et générique.
Au moyen âge, les artistes – souvent désignés par le terme d’artisan – contribuaient à l’enrichissement du monde réel[1]. Ils prenaient part à un phénomène culturel propre à la civilisation dans laquelle ils vivaient. À partir de la Renaissance, le changement de paradigme a imposé aux artistes, soit d’embrasser la nouvelle façon de faire (moderne, naturaliste, idéaliste), soit d’agir contre l’esprit de leur temps en préservant, en partie ou en totalité, la façon ancienne, réaliste, de pratiquer leur art. Ceux qui ont opté pour le second membre de l’alternative ont permis au réalisme artistique de survivre dans un environnement hostile. Certains d’entre eux (mentionnons par exemple Vermeer, Fragonard) ont même acquis une grande renommée. Souvent, à leur propos, on n’a pas mesuré l’ampleur du décalage de leur œuvre, par rapport à la mentalité dominante. À cet égard, le romantisme est aussi un cas exemplaire. Pensons au célèbre tableau de Caspar David Friedrich, intitulé Voyageur contemplant une mer de nuages (1817–1818), considéré comme un archétype du romantisme en tant qu’idéalisme. Peut-être est-ce justement le contraire. Observons le tableau. En arrière-plan, nous voyons une vaste mer de nuages, et non une étendue d’eau, ni même l’idée d’une étendue d’eau. Ce qui est important, dans le tableau de Friedrich, ce n’est pas le tumulte prodigieux et menaçant de la nature, les abysses insondables, comme on l’imaginerait d’un vaste océan dans lequel, au moins les jours favorables, on pourrait laver son visage, voire, les jours très favorables, sur lequel on pourrait marcher – en somme, une réalité. Le tableau de Friedrich, au contraire, montre l’immensité de l’illusion. Les nuages sont impalpables, irréels. On ne peut rien en faire. Le voyageur (vu de dos), en dépit de sa carrure solide et de son attitude martiale (un pied posé en avant, à la conquête du monde), reste impuissant. Il incline légèrement la tête. Il a peut-être les yeux clos. Le poète romantique aurait souhaité marcher sur les nuages. Mais il renonce. Parce que ce n’est pas sur les nuages, mais sur les eaux, que l’on marche (et pour cela il faut avoir la foi)[2]. Friedrich, en somme, montre volontairement son voyageur au-dessus d’une illusion immatérielle, laquelle dissimule ou plutôt se substitue à une réalité spirituelle. Tout comme Vermeer avait représenté sa laitière devant un mur nu[3]. En représentant leurs héros respectifs confrontés à deux hypostases du même mal moderne (le néant, l’hypothèque de la réalité), Friedrich et Vermeer ont atteint les limites de la peinture moderne. Ils ont dévoilé la supercherie, ils ont représenté l’idéal avec réalisme. C’est beaucoup mieux que le contraire (représenter la réalité avec idéalisme).
Comme nous le soulignions plus haut, le concept de modernité, comme celui de réalité, mériterait d’être manié avec prudence. Dans le domaine de la peinture, en particulier, le qualificatif de moderne désigne parfois ce qui, en fait, est antimoderne ; quant à la confusion entre naturalisme et réalisme, elle est très fréquente. Or l’étalon unique de l’art est bel et bien son degré de réalisme, c’est-à-dire son contenu de temps, car seul le temps (narratif ou éternel) permet de conjurer le néant. En décidant de rompre avec les illusions naturalistes, avec la représentation soi-disant exact de l’instant spatial, les peintres antimodernes (massivement au tournant du siècle, mais aussi individuellement tout au long des Temps modernes) ont tenté de remettre l’art sur le droit chemin de la réalité. Hélas, leur héritage a été interprété de manière erronée, ou plutôt fallacieuse, par les penseurs doctrinaires du surréalisme, dont l’enseignement continue à se propager dans le monde contemporain sous diverses étiquettes. Or le « surréel » est une appellation incorrecte et trompeuse, parce que rien ne dépasse le réel – ou peut-être, justement, le néant. Le surréalisme, conformément aux principes de la Renaissance, fait la confusion entre le monde réel et le monde naturel. Le monde naturel, quant à lui, peut être dépassé. Mais cela n’a rien de nouveau : le monde surnaturel, c’est-à-dire spirituel, est de toute éternité, il n’est sûrement pas le fruit fortuit, arbitraire, de l’imagination humaine, de surcroît déréglée. La réalité artistique s’offre dans sa complexité matérielle et spirituelle aux consciences libres ; la beauté n’est pas relative, elle est absolue et subjective.
[1] Roger Pouivet suggère que les artistes soient considérés comme co-créateurs, avec Dieu, puisque leurs œuvres, de nouvelles réalités, enrichissent « l’inventaire du monde » (Roger Pouivet, L’art et le désir de Dieu. Une enquête philosophique, PUR, 2017).
[2] « En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : “C’est un fantôme”. Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : “Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur !” Pierre prit alors la parole : “Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux”. Jésus lui dit : “Viens !” Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : “Seigneur, sauve-moi !” Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : “Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?” Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba » (Mt 14, 22–33).
[3] Pour une discussion sur le vide et le néant dans l’art, on peut voir Henri de Montety, L’œuvre d’art, l’espace et le temps. Analyse et interprétation du réel, PUR, 2021, pp. 90 ss.