Revue de réflexion politique et religieuse.

Fran­çois Hou, Cha­pitres et socié­té en Révo­lu­tion (lec­ture)

Article publié le 29 Jan 2024 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

L’histoire de la Révo­lu­tion ne déchaîne plus les dis­cus­sions pas­sion­nées d’il y a quelques décen­nies encore. D’aucuns y ver­ront les pro­grès, dans le public, d’une com­pré­hen­sion plus équa­nime de la période. Il nous cha­gri­ne­rait que ce soit plu­tôt l’ignorance qui fasse son œuvre. Car ce serait dom­mage : la période a encore beau­coup à nous apprendre. Témoin l’ou­vrage majeur*, tiré d’une thèse, écrite par un nor­ma­lien qui a sou­te­nu en 2019 à l’université Paris‑I sous la direc­tion de Phi­lippe Bou­try, spé­cia­liste de l’histoire reli­gieuse du XIXe siècle. L’auteur, Fran­çois Hou, a mené des recherches d’archives tita­nesques pour recons­ti­tuer le des­tin, avant et après la révo­lu­tion, des cha­noines d’une dou­zaine de dio­cèses fran­çais, choi­sis pour repré­sen­ter toute la diver­si­té de la France en termes de fer­veur, de socio­lo­gie, de poli­tique, etc.

La pre­mière par­tie recons­ti­tue tout le débat de l’époque autour de l’institution du cha­pitre, ce « sénat de l’Église » (Concile de Trente), « conseil-né » de l’évêque, qui n’en a pas moins un pou­voir monar­chique. La période consi­dé­rée est le moment d’un débat ecclé­sio­lo­gique majeur et de sa réso­lu­tion – thème qu’avait étu­dié, en son temps, l’abbé Plon­ge­ron. La rup­ture poli­tique vient radi­ca­li­ser les idées et sur­tout les for­cer à pas­ser à l’acte, c’est-à-dire à se confron­ter aux faits. Cette par­tie ecclé­sio­lo­gique semble un des apports majeurs du livre. En effet, très éton­nam­ment, Fran­çois. Hou montre que la sta­bi­li­sa­tion concor­da­taire pro­gres­sive des cha­pitres res­tau­rés, contrô­lés par l’évêque mais pas inca­pables, au besoin, de le contrô­ler – que cette sta­bi­li­sa­tion donc appa­raît non pas comme l’imposition d’une ecclé­sio­lo­gie hié­rar­chique d’esprit res­tau­ra­teur mais comme le fruit d’expérimentations très diverses, qui conduisent à ce modèle fonc­tion­nel, qui évite les excès révo­lu­tion­naires de l’omnipotence épis­co­pale, tout comme une dilu­tion inva­li­dante de l’autorité.

Après cette pre­mière par­tie ecclé­sio­lo­gique, dont il fau­drait avoir la place de résu­mer chaque cha­pitre, tou­jours bien écrit et clair, autant qu’une matière si savante le per­met, vient l’étude des cha­pitres pris dans la tour­mente révo­lu­tion­naire. Ce sont des « réfrac­taires » pré­coces, car la convo­ca­tion des États Géné­raux les défa­vo­ri­sait déjà au pro­fit des curés – d’où des pro­tes­ta­tions, assez clair­voyantes sur les enjeux des chan­ge­ments en cours. Mais quand, par uti­li­ta­risme et archéo­lâ­trie, l’Assemblée décide de leur sup­pres­sion, leurs pro­tes­ta­tions se font désor­mais dans l’unité avec les évêques, et avec une bonne par­tie du cler­gé et des fidèles. Après la dis­per­sion des cha­pitres, fin 1790, début 1791, rares sont les cha­noines à jurer (moins de 10% pour le ser­ment de 1791), a for­tio­ri à aban­don­ner le sacer­doce ; a contra­rio, certes, le nombre de ceux qui connaissent la pri­son ou la mort est modeste. Dans la France concor­da­taire, les cha­noines d’Ancien Régime four­nissent un vivier où pui­ser les membres des cha­pitres qui renaissent – dont, en 1820, les trois quarts des membres sont des prêtres ordon­nés avant 1790. Ils conti­nuent, jusqu’au milieu des années 1830 où l’âge finit par faire son œuvre, à for­mer la majo­ri­té de nomi­na­tions cano­niales, don­nant à l’Église concor­da­taire des cadres recher­chés pour leur excel­lente for­ma­tion et, sou­vent, pour leurs mérites. On avait noté aus­si le rôle majeur d’encadrement que jouent cer­tains cha­noines grands vicaires des évêques réfrac­taires dans les dio­cèses dans la décen­nie 1790 – un aspect soi­gneu­se­ment étu­dié par le livre.

La troi­sième par­tie touche plus l’histoire sociale en défi­nis­sant les cha­noines concor­da­taires comme « une élite ecclé­sias­tique inter­mé­diaire au XIXe siècle » « à l’ombre de l’évêque ». Fran­çois Hou dresse le por­trait idéal du cha­noine recher­ché par le régime concor­da­taire, choi­si par la faveur des auto­ri­tés, mais parce qu’il incarne un idéal de nota­bi­li­té, de bonne édu­ca­tion, de pru­dence et de diplo­ma­tie, ce qui cor­res­pond aux logiques sociales propres à ce siècle – ce qui n’exclut pas la pié­té, faut-il signa­ler à la suite de l’auteur. Ces cha­pitres ne sont pas pour autant inac­tifs, ni désar­més. Excep­tion­nels sont les conflits qui arrivent à la conclu­sion de la lutte du cha­pitre de Dijon contre son évêque, puisque Mgr Rey démis­sionne de son siège épis­co­pal (1838). Le cas dijon­nais illustre bien que, dans l’Église gal­li­cane du XIXe siècle, un évêque peut certes igno­rer sans dégâts son cha­pitre, mais non l’attaquer. Faibles, ces com­pa­gnies ne le sont pas moins numé­ri­que­ment, ce qui rend la res­tau­ra­tion de l’office cano­nial com­plet lente et dif­fi­cile. Au moment de la roma­ni­sa­tion de la litur­gie, les cha­noines ne seront donc pas en pre­mière ligne. Ils ne sont pas una­nimes d’ailleurs. Et puis, ils ne dif­fèrent guère du reste du cler­gé, avec lequel ils connaissent l’évolution dévo­tion­nelle des années 1830–1850, à mesure que le vieux cler­gé gal­li­can dis­pa­raît.

Le mariage des méthodes de l’histoire sociale et de l’histoire reli­gieuse dans lequel s’inscrit ce livre ne date pas d’hier. Dans ce vieux ménage, il y a des moments d’ennui et de rabâ­chage. À ces défauts, Fran­çois Hou échappe tota­le­ment. Sa plume est alerte, gra­cieuse, et tou­jours claire. Et puis, son expo­sé sou­lève trois pro­blèmes brû­lants. Les lec­teurs de Catho­li­ca n’y peuvent être insen­sibles. D’abord, en une époque où l’Église est remo­de­lée sans égards pour sa nature théo­lo­gique, cette vio­lente ten­sion entre les pré­ten­tions d’instaurer un pou­voir démo­cra­tique du pres­by­te­rium et les excès d’un exer­cice soli­taire du pou­voir épis­co­pal. Ensuite, ce par­cours très équi­li­bré, sine ira et stu­dio, dans les méandres des atti­tudes face à une per­sé­cu­tion poli­tique infi­ni­ment plus com­plexe et cau­te­leuse qu’on le croit volon­tiers. Enfin, cette his­toire des cha­pitres concor­da­taires qui illustre bien le para­doxe de ce qu’est la res­tau­ra­tion catho­lique en France au XIXe siècle : l’apparence bal­za­cienne d’une immo­bi­li­té sociale et l’extraordinaire dyna­misme sous-jacent, dont les contem­po­rains eux-mêmes ont rare­ment idée.

* Lec­ture de Fran­çois Hou, Cha­pitres et socié­té en Révo­lu­tion. Les cha­noines en France de l’Ancien Régime à la monar­chie de Juillet, pré­face de Phi­lippe Bou­try, PUR, coll. « His­toire – SHRF », Rennes, 2023, 333 p., 25 €

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