Revue de réflexion politique et religieuse.

Autour des « formes litur­giques ». Quelques réflexions du car­di­nal New­man

Article publié le 8 Juil 2024 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

 

La vie de l’Église, au cours des der­nières décen­nies, a été tra­ver­sée par un débat très intense sur le renou­vel­le­ment des « formes » : dans le lan­gage théo­lo­gique, dans la litur­gie, dans la pro­cla­ma­tion de l’Évangile, dans la manière de s’adresser au monde contem­po­rain. C’était d’ailleurs l’objectif prin­ci­pal que le pape Jean XXIII avait assi­gné au Concile Vati­can II, comme le pon­tife l’avait expri­mé dans le dis­cours d’ouverture de l’assemblée conci­liaire :

« Ce qui inté­resse le plus le Concile, c’est que le dépôt sacré de la doc­trine chré­tienne soit conser­vé et ensei­gné sous une forme plus effi­cace. Car une chose est le dépôt de la foi, c’est-à-dire les véri­tés conte­nues dans notre véné­rable doc­trine, et une autre est la manière dont elles sont pro­cla­mées, mais tou­jours dans le même sens et la même signi­fi­ca­tion. […] Il fau­dra donc adop­ter la forme d’exposition qui cor­res­pond le mieux au Magis­tère, dont la nature est prin­ci­pa­le­ment pas­to­rale[1]. »

C’est sur la base de cette dis­tinc­tion légi­time entre le dépôt ou le conte­nu de la foi, d’une part, et ses formes his­to­riques et chan­geantes, d’autre part – éga­le­ment cor­ro­bo­rée par le grand déve­lop­pe­ment des études his­to­riques entre le XIXe et le XXe siècle –, que l’on a donc ten­té de don­ner un nou­vel élan à la vie et à la mis­sion de l’Église. Au fur et à mesure que l’on avan­çait dans ce tra­vail, qui est loin d’être simple, on se ren­dit compte qu’il n’était pas tou­jours facile de dis­tin­guer entre ce qui relève de la simple forme ou d’une option éphé­mère et ce qui, au contraire, touche dans une cer­taine mesure au cœur même du catho­li­cisme, même si cela n’est pas direc­te­ment lié à la révé­la­tion divine elle-même.

C’est pré­ci­sé­ment autour de cette ques­tion dif­fi­cile que de fortes ten­sions sont appa­rues au sein de l’Église. Ce débat, même s’il a connu des phases alter­nées, ne s’est jamais com­plè­te­ment apai­sé, jusqu’à aujourd’hui. Comme on le sait, il concerne sur­tout le domaine de la litur­gie et toutes les formes de prière et de ritua­li­té qui expriment la dévo­tion ou la foi des fidèles.

La vie de l’Église n’est pas entiè­re­ment nou­velle face à de tels pro­blèmes, même s’ils se pré­sentent aujourd’hui avec une inten­si­té par­ti­cu­lière. En témoigne le texte d’un ser­mon du car­di­nal John Hen­ry New­man (1801–1890), inti­tu­lé Cere­mo­nies of the Church[2] et pro­non­cé à l’occasion de la fête litur­gique de la Cir­con­ci­sion de Jésus. Il s’agit d’un des ser­mons de New­man avant sa conver­sion au catho­li­cisme, alors qu’il appar­te­nait encore à l’Église angli­cane. Dans ces écrits « angli­cans » du futur car­di­nal, pro­cla­mé saint il y a quelques années par le pape Fran­çois (2019), nous sommes déjà confron­tés à une pen­sée qui ne révèle aucun conflit avec la foi catho­lique, à l’exception peut-être de quelques nuances qui méri­te­raient d’être pré­ci­sées.

Dans ce texte, que nous vou­lons exa­mi­ner et relire atten­ti­ve­ment, nous trou­vons des indi­ca­tions pré­cieuses et très per­ti­nentes concer­nant les « formes reli­gieuses » en géné­ral, sur­tout litur­giques, et les cri­tères à adop­ter pour leur conser­va­tion ou leur chan­ge­ment. Il s’agissait d’un sujet très sen­sible dans les milieux angli­cans de la pre­mière moi­tié du XIXe siècle, déjà très expo­sés à l’époque aux ten­dances sécu­la­ri­santes et libé­ra­li­santes, contre les­quelles le jeune New­man cher­chait à mettre en garde l’Église d’Angleterre.

Le point de départ choi­si par New­man pour abor­der le thème des « céré­mo­nies reli­gieuses », et donc de la per­ma­nence ou de la nature éphé­mère des formes rituelles de la reli­gion chré­tienne, est l’Écriture Sainte, en par­ti­cu­lier le témoi­gnage du Nou­veau Tes­ta­ment concer­nant les pres­crip­tions de la Loi juive par rap­port à la nou­veau­té de Jésus-Christ et à la vie de l’Église apos­to­lique. S’inspirant de la fête de la cir­con­ci­sion de Jésus, New­man montre com­ment le Sau­veur, dès sa nais­sance puis tout au long de son minis­tère public, a vou­lu se sou­mettre aux ins­ti­tu­tions et aux rites asso­ciés au Temple et sanc­tion­nés par la loi mosaïque. Après avoir don­né plu­sieurs exemples de l’obéissance de Jésus aux cou­tumes juives, même pen­dant son minis­tère public, New­man conclut par les pré­ci­sions sui­vantes :

« Telle fut l’observance conscien­cieuse par notre Sau­veur du sys­tème reli­gieux sous lequel il était né, et ce non seule­ment dans la mesure où il était direc­te­ment divin, mais aus­si là où il avait été décré­té par des hommes non ins­pi­rés bien que pieux, c’est-à-dire là où il était fon­dé sur (ce que nous appel­le­rions) la seule auto­ri­té ecclé­sias­tique » (70).

En d’autres termes, il ne faut pas seule­ment sai­sir les moments de dis­con­ti­nui­té de Jésus par rap­port à la Loi (par exemple sa contes­ta­tion de l’observance trop rigide et for­melle du sab­bat, qu’en soi il n’a jamais décla­rée obso­lète), mais aus­si les nom­breux cas où il a res­pec­té et appli­qué les cou­tumes, même sim­ple­ment humaines, de la reli­gion juive. Jésus a appe­lé à plu­sieurs reprises non seule­ment à l’observance de la Loi, mais aus­si à l’obéissance aux scribes et aux pha­ri­siens (cf. Mt 23, 2–3), qu’il recon­nais­sait comme les auto­ri­tés légi­times du judaïsme de son temps.

New­man note que même après la résur­rec­tion de Jésus et la Pen­te­côte, qui ont sanc­tion­né l’accomplissement et le dépas­se­ment de la loi mosaïque, les apôtres et la com­mu­nau­té chré­tienne pri­mi­tive ont sui­vi l’exemple du Sei­gneur :

« Ils n’ont pas aban­don­né les rites juifs et n’ont obli­gé per­sonne d’autre qui en avait l’habitude à le faire. La cou­tume était une rai­son par­fai­te­ment suf­fi­sante pour les conser­ver ; chaque chré­tien devait res­ter dans l’état auquel il était appe­lé ; et dans le cas des juifs, la pra­tique de ces rites n’interférait pas néces­sai­re­ment avec une foi véri­table et entière dans la Rédemp­tion que le Christ avait offerte pour le péché » (71).

Saint Paul lui-même, qui s’est vigou­reu­se­ment oppo­sé à ceux qui vou­laient obli­ger les chré­tiens venus du monde païen à obser­ver la cir­con­ci­sion et les pres­crip­tions de l’Ancienne Loi, « n’a jamais ordon­né aux juifs d’y renon­cer ; au contraire, il a vou­lu qu’ils les conservent, lais­sant à une nou­velle géné­ra­tion, qui n’était pas née sous leur empire, le soin de les omettre, afin que leur usage dis­pa­raisse gra­duel­le­ment » (71). Ceci est attes­té, par exemple, par le fait qu’il a fait cir­con­cire Timo­thée (cf. Ac 16 1,3), par res­pect pour la sen­si­bi­li­té des chré­tiens issus du judaïsme, et qu’il a sui­vi la cou­tume de l’Ancien Tes­ta­ment de lais­ser pous­ser ses che­veux (le nazi­réat) comme une forme de vœu fait à Dieu (cf. Ac 18,18). La conclu­sion que New­man tire de ce bref exa­men des don­nées bibliques est la sui­vante :

« De cette obéis­sance à la Loi juive, pres­crite et mise en évi­dence par notre bien­heu­reux Sei­gneur et ses Apôtres, nous appre­nons la grande impor­tance de pré­ser­ver les formes reli­gieuses aux­quelles nous sommes habi­tués, même si elles sont en elles-mêmes indif­fé­rentes ou d’origine non divine » (71–72).

Sur ce der­nier point, New­man s’attarde lon­gue­ment. En effet, dans la plu­part des cas, les formes céré­mo­nielles concernent des pra­tiques et des usages qui ne sont pas pro­pre­ment d’institution divine, c’est-à-dire conte­nus dans la Révé­la­tion et remon­tant direc­te­ment à Dieu. C’est pour­quoi des objec­tions sont sou­vent sou­le­vées à l’encontre de nom­breuses formes ecclé­sias­tiques, puisque la Bible ne dit rien à leur sujet : l’agenouillement devant le sacre­ment de la Cène du Sei­gneur, la célé­bra­tion dans des lieux consa­crés, l’utilisation de for­mu­laires de prières fixes, comme dans la litur­gie, la sépul­ture chré­tienne, etc. Si l’Écriture ne contient pas d’indications sur ces choses, qui paraissent donc secon­daires ou indif­fé­rentes, pour­quoi s’y atta­cher autant ?

À cet égard, New­man observe que, sur bien d’autres points, on ne trouve aucune indi­ca­tion dans l’Écriture (par exemple, l’interdiction du sui­cide, du duel, du jeu de hasard) et pour­tant, note-t-il, per­sonne ne doute qu’il s’agisse là de péchés graves, contraires à la vie chré­tienne. Par consé­quent, sur de nom­breux aspects de la vie chré­tienne et ecclé­siale, la conscience et l’intelligence, ins­pi­rées par l’Esprit et éclai­rées par l’Écriture, peuvent par­ve­nir à une com­pré­hen­sion de cer­taines véri­tés qui, bien que n’étant pas maté­riel­le­ment pré­sentes dans la Bible, ne sont pas moins impor­tantes que les choses expli­ci­te­ment révé­lées par Dieu. Si la révé­la­tion divine concerne essen­tiel­le­ment les ques­tions de foi, affirme New­man, « les ques­tions de forme nous sont révé­lées par la tra­di­tion et leur long usage, qui nous obligent à les obser­ver, même si elles ne nous sont pas impo­sées par l’Écriture » (73).

Plus pré­ci­sé­ment, « l’Écriture nous dit ce que nous devons croire et ce à quoi nous devons aspi­rer et affir­mer, mais elle ne nous dit pas com­ment le faire, et et comme nous ne pou­vons pas le faire du tout à moins de le faire de telle ou telle manière, nous devons en fait ajou­ter quelque chose à ce que l’Écriture nous dit » (73). Ces formes par­ti­cu­lières et concrètes sont néces­saires et l’Église doit inter­ve­nir pour les éta­blir et les régle­men­ter. « La reli­gion doit se réa­li­ser dans des actes par­ti­cu­liers pour conti­nuer à être vivante. [Il n’y a pas de reli­gion abs­traite. Lorsque quelqu’un essaie d’adorer Dieu de manière (dite) plus spi­ri­tuelle, il finit, en fait, par ne pas ado­rer du tout » (74).

Sous une forme quelque peu sim­pli­fiée et sché­ma­tique, mais sub­stan­tiel­le­ment cor­recte, New­man conclut ain­si : « Pour notre culte, l’Écriture donne l’esprit et l’Église le corps » (74). Cela signi­fie que les deux aspects, bien que d’origine dif­fé­rente, sont coes­sen­tiels, comme l’âme et le corps le sont pour l’homme : « par exemple, l’Écriture nous dit de nous réunir pour la prière, […] mais comme elle ne nous en dit pas les temps et les lieux, l’Église doit com­plé­ter ce que l’Écriture a enjoint de manière géné­rale » (73). Il en va de même pour la Cène, le mariage, la sépul­ture des morts, etc. Sur les sacre­ments, nous trou­vons, certes, des indi­ca­tions dans les paroles du Sei­gneur Jésus et dans le Nou­veau Tes­ta­ment, mais pas la déter­mi­na­tion de leurs formes. Cela ne signi­fie pas pour autant que les formes et les rituels peuvent être modi­fiés à volon­té ou qu’ils n’ont que peu de digni­té :

« Même si les formes ne viennent pas direc­te­ment de Dieu, leur long usage les a ren­dues divines à nos yeux, car l’esprit de la reli­gion les a tel­le­ment impré­gnées et vivi­fiées que les détruire revient, pour la mul­ti­tude des hommes, à per­tur­ber et à délo­ger le prin­cipe reli­gieux lui-même. Dans la plu­part des esprits, l’usage les a tel­le­ment iden­ti­fiées à la notion de reli­gion que l’une ne peut être sup­pri­mée sans l’autre. Leur foi ne tolère pas d’être trans­plan­tée » (75).

Les formes dont l’Église s’est dotée au fil du temps ne sont pas comme des vête­ments que l’on peut chan­ger ou jeter trop faci­le­ment. Si les véri­tés de la foi et les formes litur­giques sont res­pec­ti­ve­ment comme l’âme et le corps d’un orga­nisme vivant, pour New­man il faut faire preuve d’une grande pru­dence quand on inter­vient sur ces formes, même si elles sont en elles-mêmes faibles ou immuables, parce qu’elles sont deve­nues, à force d’usage, comme l’habitat vital dans lequel la foi de la com­mu­nau­té a gran­di. De même que le Sei­gneur Jésus et les Apôtres ont consi­dé­ré avec res­pect les formes reli­gieuses du judaïsme même si elles étaient des­ti­nées à dis­pa­raître, sans obli­ger per­sonne à les répu­dier ou à les aban­don­ner, de même, dans l’Église, la même dis­cré­tion doit être obser­vée à l’égard des rites et des pra­tiques cultuelles qui, par une longue tra­di­tion, se sont impré­gnés de l’Évangile et l’ont trans­mis à tant de géné­ra­tions.

« Les rites juifs étaient des­ti­nés à dis­pa­raître, et pour­tant per­sonne n’a reçu l’ordre éner­gique de se sépa­rer de ce à quoi il était habi­tué depuis long­temps, de peur qu’ils ne perdent aus­si le sens de la reli­gion. À plus forte rai­son en sera-t-il ain­si pour des formes comme le sont les nôtres, qui, loin d’être abro­gées par les Apôtres, ont été intro­duites par eux ou par leurs suc­ces­seurs immé­diats » (76).

Aujourd’hui, ces réflexions de New­man pour­raient être consi­dé­rées comme une manière d’attention à la dimen­sion anthro­po­lo­gique qui inter­vient tou­jours dans la consti­tu­tion et la for­ma­tion des formes rituelles et qui, bien qu’elles ne dérivent pas direc­te­ment d’une ins­ti­tu­tion divine, ne doivent pas pour autant être sous-esti­mées ou consi­dé­rées comme sim­ple­ment inter­chan­geables avec d’autres.

Au terme de ses consi­dé­ra­tions, briè­ve­ment résu­mées ici, New­man invite à la pru­dence face à des chan­ge­ments trop faciles ou trop brusques des formes consa­crées par l’usage ecclé­sias­tique :

« Rap­pe­lez-vous donc que les choses indif­fé­rentes en elles-mêmes deviennent impor­tantes pour nous lorsque nous y sommes accou­tu­més. Les ser­vices et les céré­mo­nies de l’Église sont la forme exté­rieure sous laquelle la reli­gion a été repré­sen­tée dans le monde pen­dant des siècles, et nous l’ont tou­jours fait connaître. […] Les rites que l’Église a éta­blis, à juste titre – car l’autorité de l’Église vient du Christ – ayant été uti­li­sés dans le temps long ne peuvent être désaf­fec­tés sans dom­mage pour nos âmes. […] Il en est de même pour toutes les autres formes, même celles qui sont moins contrai­gnantes en elles-mêmes ; il arrive conti­nuel­le­ment qu’un per­fec­tion­ne­ment de carac­tère spé­cu­la­tif soit une folie dans la pra­tique, et que les savants soient pris au piège de leur propre habi­le­té » (77–78).

Cette der­nière obser­va­tion, non sans une cer­taine sévé­ri­té, ren­ferme une pro­fonde sagesse et doit être bien com­prise. Ce que notre auteur veut dire, c’est que par­fois un chan­ge­ment de forme « en vue d’un mieux », même dans le culte, sug­gé­ré par des rai­sons « théo­ri­que­ment « valables » (« de carac­tère spé­cu­la­tif »), puisse s’avérer, en termes pra­tiques – disons en termes de « pas­to­rale » –, contre-pro­duc­tif s’il devient une cause de déso­rien­ta­tion. Le risque est de com­pro­mettre l’intégralité de l’expérience de foi, si l’on ne fait pas preuve de pru­dence et de dis­cré­tion dans la manière de trai­ter et éven­tuel­le­ment de cor­ri­ger les formes au nom d’un conte­nu abs­trait. La théo­lo­gie des experts, en d’autres termes, ne peut pas fonc­tion­ner si elle se détourne de l’attention à la situa­tion réelle et à la sen­si­bi­li­té concrète des fidèles. Celle-ci doit être for­mée selon des prin­cipes théo­lo­gi­que­ment cor­rects, mais pro­gres­si­ve­ment et en tenant compte du fait que le mieux peut par­fois être l’ennemi du bien.

« Il y aurait beau­coup à dire sur ce sujet, qui est très impor­tant. Spé­cia­le­ment par les temps qui courent, nous devons nous méfier de ceux qui espèrent, en nous inci­tant à renon­cer à nos formes, nous faire renon­cer fina­le­ment à notre espé­rance chré­tienne. C’est pour­quoi l’É­glise elle-même est atta­quée, parce qu’elle est la forme vivante, le corps visible de la reli­gion ; et les hommes astu­cieux savent que lors­qu’elle dis­pa­raî­tra, la reli­gion dis­pa­raî­tra aus­si. C’est pour­quoi ils s’en prennent à tant d’u­sages qu’ils consi­dèrent comme super­sti­tieux, ou qu’ils pro­posent des modi­fi­ca­tions et des chan­ge­ments, mesure spé­cia­le­ment cal­cu­lée pour ébran­ler la foi de la mul­ti­tude » (78).

Les réflexions de saint John Hen­ry New­man doivent être consi­dé­rées avec atten­tion. Elles contiennent quelques cri­tères théo­lo­giques qui peuvent ins­pi­rer la pra­tique du dis­cer­ne­ment. Elles pour­raient aus­si aider, rétros­pec­ti­ve­ment, à relire la manière dont la der­nière réforme litur­gique a été menée. La ques­tion qui se pose à la lumière de ses pro­pos est la sui­vante : aurait-il été pos­sible de pro­cé­der à des chan­ge­ments plus gra­duels ? Aurait-il été pas­to­ra­le­ment plus appro­prié de lais­ser ceux qui se sen­taient à l’aise dans le vetus ordo de conti­nuer à le pra­ti­quer, sans impo­ser son aban­don bru­tal ?

Ne pour­rait-on pas, en outre, sug­gé­rer la pru­dence, au moins main­te­nant, dans la manière d’intervenir à l’égard de tout ce qui fait encore l’objet de débats et de malaises dans la litur­gie ? Ce que le saint car­di­nal et grand théo­lo­gien anglais sug­gère, c’est la modé­ra­tion dans le trai­te­ment des formes véné­rables que la tra­di­tion nous a trans­mises, et de pro­cé­der avec modé­ra­tion à leur éven­tuelle cor­rec­tion. Sommes-nous sûrs qu’il ne vaut pas mieux lais­ser une marge de liber­té et de res­pect envers ceux qui sont encore atta­chés à des formes plus anciennes, comme Jésus et les Apôtres l’ont fait à l’égard des anciens rites qui étaient sur le point de dis­pa­raître ?

Lorsque Benoît XVI a publié le docu­ment Sum­mo­rum Pon­ti­fi­cum, ma pre­mière réac­tion a été néga­tive. Aujourd’hui, à dis­tance, j’en vois la plau­si­bi­li­té. Ce que le pape Rat­zin­ger a écrit dans sa lettre du 7 juillet 2007, expli­quant plus en détail les rai­sons du motu pro­prio, me semble tout à fait conforme aux réflexions réflé­chies de New­man : « Ce qui était sacré pour les géné­ra­tions pré­cé­dentes reste sacré et grand pour nous aus­si, et ne peut pas être sou­dai­ne­ment com­plè­te­ment inter­dit ou même jugé nui­sible. Cela nous fait du bien de pré­ser­ver les richesses qui ont gran­di dans la foi et la prière de l’Église, et de leur don­ner la place qui leur revient ». S’il s’agit de branches mortes, elles tom­be­ront d’elles-mêmes. Si, en revanche, ce sont des pousses vivantes, pour­quoi s’obstiner à les déra­ci­ner ?

[1]. Jean XXIII, Gau­det Mater Eccle­sia, n. 6.

[2]. Texte dis­po­nible sur https://www.newmanreader.org/works/parochial/volume2/sermon7.html Les pas­sages cités dans le pré­sent texte ren­voient à la pagi­na­tion indi­quée dans cette édi­tion.

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