Revue de réflexion politique et religieuse.

Revue en ligne

Depuis le mois de jan­vier 2022, la revue publie désor­mais régu­liè­re­ment en ligne des articles, notes de lec­tures, entre­tiens, ou contri­bu­tion spon­ta­nées qui lui sont adres­sées

9 Mai 2020

Paru­tion : La digni­té humaine. Heurs et mal­heurs d’un concept mal­trai­té par La Rédaction

Paru­tion de cet ouvrage col­lec­tif réa­li­sé sous la direc­tion de Ber­nard Dumont, Miguel Ayu­so, Dani­lo Cas­tel­la­no. Au registre des idées reçues, l’affirmation selon laquelle la digni­té humaine est une décou­verte des Lumières tient une place de choix. Mais on n’a pas atten­du Kant pour consi­dé­rer que l’être humain tient une place émi­nente dans la Créa­tion, et le chris­tia­nisme voit dans la per­sonne du Verbe incar­né l’Exemplaire même de toute digni­té. Par contraste, la phi­lo­so­phie moderne a vou­lu pla­cer la racine de la digni­té dans l’autonomie, c’est-à-dire dans l’affranchissement de toute loi exté­rieure à la volon­té humaine, et non plus dans l’honneur d’accomplir libre­ment ce qui est bien.
La post­mo­der­ni­té voit s’exacerber sous nos yeux les contra­dic­tions pro­vo­quées par ce « concept mal­trai­té », uti­li­sé à toutes les sauces mais inapte à poser des bornes infran­chis­sables à toute espèce de trans­gres­sion. Par des che­mins de tra­verse, ce retour­ne­ment de pers­pec­tive a pro­gres­si­ve­ment péné­tré l’Église catho­lique, en par­ti­cu­lier sous l’influence de Jacques Mari­tain, et a pesé sur le concile Vati­can II, grâce notam­ment aux efforts du jésuite amé­ri­cain John Court­ney Mur­ray, sus­ci­tant plus de dif­fi­cul­tés que d’heureux effets. Faut-il alors dire avec Ste­ven Pin­ker que « la digni­té est une stu­pi­di­té » ? Mieux vau­drait plu­tôt reprendre la ques­tion sur des bases plus assu­rées.

> Com­man­der l’ou­vrage   | > Lire la recen­sion de Cyrille Dou­not (n. 147)

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4 Nov 2019

Mariage chré­tien et imma­tu­ri­té par Antoine Bied-Charreton

En réponse à Phil­lipe de Labriolle et Luis Maria de Ruschi, à pro­pos des écrits récents de Claude Jean­tin. Claude Jean­tin, avo­cat ecclé­sias­tique (Lyon), a publié dans l’Année Cano­nique 2016 (Letou­zey et Ané Ed., Tome LVII, pp. 39–71), un impor­tant article sur le thème « Imma­tu­ri­té Post­mo­derne et Contre­fa­çons du Mariage » ; en sep­tembre der­nier, une mono­gra­phie déve­lop­pée sur le même sujet (« L’immaturité devant le Droit Matri­mo­nial de l’Église », même édi­teur, 428 p.). Dans le numé­ro 143 de Catho­li­ca (pp. 40–51), Phi­lippe de Labriolle [lire], psy­chiatre hos­pi­ta­lier à Orléans, a don­né un compte-ren­du de ce der­nier ouvrage, dans des termes qui tra­duisent son adhé­sion.

Bro­chant sur le tout, cet article a lui-même sus­ci­té un com­men­taire dans le numé­ro sui­vant de la Revue, de la part de Luis Maria de Ruschi [lire], juge ecclé­sias­tique à Bue­nos Aires. Sans enga­ger en rien l’Officialité de Paris-Île de France, au sein de laquelle j’exerce les fonc­tions de Défen­seur du lien depuis 2014, je sou­haite ajou­ter mes propres obser­va­tions à ce débat impor­tant du point de vue du droit matri­mo­nial cano­nique.

Il est de fait que le Canon 1095[1] est, en tout cas en France, le chef de nul­li­té de loin le plus sou­vent invo­qué par les par­ties. Il res­sort de l’unique enquête sta­tis­tique à laquelle nous avons accès[2] que pour la pro­vince ecclé­sias­tique d’Ile de France et la der­nière année cou­verte par l’enquête (2013), le grave défaut de dis­cer­ne­ment de l’épouse avait été invo­qué dans 76% des causes (sur les­quels 53% de réponse « posi­tive »), les pour­cen­tages appli­cables aux époux étant peu dif­fé­rents (res­pec­ti­ve­ment 72 et 49 %). (suite…)

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16 Oct 2018

Une solu­tion de conti­nui­té doc­tri­nale. Peine de mort et ensei­gne­ment de l’Église par Cyrille Dounot

« Si l’Évangile inter­dit aux États d’appliquer jamais la peine de mort, saint Paul lui-même alors a tra­hi l’Évangile » Car­di­nal Jour­net[1]

Le 11 mai 2018, lors d’une audience concé­dée au pré­fet de la Congré­ga­tion pour la doc­trine de la foi, le pape a approu­vé une nou­velle ver­sion du § 2267 du Caté­chisme de l’Église catho­lique (CEC) indi­quant notam­ment : « L’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que la peine de mort est inad­mis­sible. » Cette modi­fi­ca­tion doc­tri­nale est actée par un simple res­crit, réponse écrite d’ordre admi­nis­tra­tif, don­né lors d’une audience ordi­naire, ex Auden­tia Sanc­tis­si­mi.
Daté du 1er août 2018, il indique seule­ment que le nou­veau texte sera pro­mul­gué « par impres­sion dans LOsser­va­tore Roma­no, entrant en vigueur le même jour, et ensuite sera publié dans les Acta Apos­to­licæ Sedis ». Il s’agit d’un texte juri­dique de faible enver­gure, employé ordi­nai­re­ment pour des ques­tions règle­men­taires, et non doc­tri­nales. De sur­croît, l’approbation pon­ti­fi­cale de ce nou­veau para­graphe n’a pas été faite en « forme spé­ci­fique », qui abro­ge­rait toute dis­po­si­tion anté­rieure trai­tant du même sujet. Le texte latin porte que le pape en a sim­ple­ment « approu­vé la for­mu­la­tion ». Il s’agit d’une appro­ba­tion en « forme géné­rique », per­met­tant de sou­te­nir que les dis­po­si­tions anté­rieures contraires peuvent être tenues pour tou­jours valables. Enfin, ce texte de forme juri­dique mineure cache mal un mépris des formes et des ins­ti­tu­tions, en éta­blis­sant que son entrée en vigueur dépend d’une publi­ca­tion dans la presse offi­cieuse du Saint-Siège (déro­geant au prin­cipe éta­bli par le can. 8, §1), lais­sant dédai­gneu­se­ment au jour­nal offi­ciel du Vati­can le soin d’en assu­rer une copie. (suite…)

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28 Mar 2018

Pour­quoi le colo­nel Bel­trame a‑t-il été égor­gé ? par La Rédaction

L’en­tre­tien sui­vant avec l’is­la­mo­logue Marie-Thé­rèse Urvoy, extrait de notre numé­ro 139 (prin­temps 2018), répond indi­rec­te­ment à cette ques­tion.

Catho­li­ca – Com­ment expli­quer l’émergence de l’extrémisme dans le modus ope­ran­di de ce qu’il est conve­nu d’appeler le ter­ro­risme isla­miste ? Qu’est-ce que cela dit de l’état d’esprit actuel du, ou d’un cer­tain monde isla­mique ?

Marie-Thé­rèse Urvoy – La vio­lence n’est pas l’essence de l’islam mais elle a exis­té en lui dès le début. La pre­mière scis­sion qui est appa­rue, celle des Kha­ri­gites (d’abord sec­ta­teurs de ‘Alî, puis s’opposant à lui après qu’il ait accep­té le prin­cipe de l’arbitrage) a pris une forme extrême chez les Azra­qites, très radi­caux (condam­nant tout pécheur, quelle que soit sa faute) et très vio­lente (mise à mort, réduc­tion en escla­vage de sa famille). L’azraqisme a été contré parce qu’aucune socié­té ne peut s’établir sur une base aus­si radi­cale. ‘Alî les a com­bat­tus de façon éga­le­ment vio­lente et le kha­ri­gisme ne s’est per­pé­tué que sous des formes très atté­nuées.  Néan­moins, la pos­si­bi­li­té d’une inter­pré­ta­tion radi­cale de l’islam a per­du­ré, se mani­fes­tant pério­di­que­ment sous des formes très vio­lentes, même sans réfé­rence au kha­ri­gisme (cf., par exemple le tamyîz d’Ibn Tûmart, abou­tis­sant à l’exécution de groupes entiers jugés non fiables). (suite…)

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16 Mar 2018

Un nou­vel ava­tar de l’her­mé­neu­tique de la conti­nui­té par Pierre Charles

Il y a 5 ans, Benoît XVI annon­çait, dans l’incrédulité géné­rale, sa renon­cia­tion au trône pon­ti­fi­cal. Depuis cinq ans, les milieux conser­va­teurs ne cessent de s’interroger sur les rai­sons pro­fondes de ce geste, dans la mesure où les motifs allé­gués par l’intéressé dans son dis­cours du 11 février 2013, comme dans les Der­nières conver­sa­tions avec Peter See­wald en 2016, sont appa­rus comme trop faibles ou déce­vants au regard de la sta­ture et de l’élévation que ses admi­ra­teurs attri­buaient et attri­buent encore au pape Benoît. Les rai­sons de la démis­sion étaient, en somme, en contra­dic­tion non seule­ment avec l’éthos théo­lo­gique – la lutte à mort contre le rela­ti­visme –, mais encore avec l’éthos mar­ty­ro­lo­gique que Benoît XVI avait lui-même construit dans ses dif­fé­rents dis­cours de 2005 : l’éthos de celui qui ne fui­rait pas devant les loups.

L’anniversaire de cet évé­ne­ment, ain­si que celui de l’élection du pape Fran­çois, ont été mar­qués cette année par deux nou­velles par­ti­cu­liè­re­ment pénibles pour le camp conser­va­teur. Cette fois, les décla­ra­tions pro­blé­ma­tiques ou dou­lou­reuses ne sont pas venues de l’entourage proche de Benoît XVI, en par­ti­cu­lier de son secré­taire, Mgr G. Gäns­wein, ou de son frère aîné, Mgr G. Rat­zin­ger, mais de l’intéressé lui-même, dont on pou­vait dire, jusque-là, qu’il s’était abs­te­nu d’intervenir avec clar­té dans les dif­fé­rents débats dans les­quels son nom avait été agi­té pour ser­vir indif­fé­rem­ment l’un ou l’autre des éten­dards. (suite…)

Rubrique(s) : Revue en ligne
2 Fév 2018

Col­lec­tif, Chré­tiens d’Orient. 2 000 ans d’histoire. par La Rédaction

Col­lec­tif, Chré­tiens d’Orient. 2 000 ans d’histoire, Cata­logue de l’exposition, Gal­li­mard, Muba, Ins­ti­tut du monde arabe, octobre 2017, 29 €.

Rubrique(s) : Bibliographies n. 138, Revue en ligne
5 Mai 2017

Dieu, l’État et moi par La Rédaction

Ce roman est sor­ti un mois avant le pre­mier tour de l’élection pré­si­den­tielle. Sans vou­loir pei­ner l’auteur, la plus grande par­tie de ses 440 pages n’a qu’une valeur mineure, ima­gi­nant de manière aus­si fan­tai­siste que conven­tion­nelle les pre­miers mois d’un nou­vel élu à la pré­si­dence, immé­dia­te­ment plon­gé dans toutes sortes de sou­cis. L’objet prin­ci­pal n’apparaît que pro­gres­si­ve­ment : ce pré­sident, qui est catho­lique, a d’étranges rêves lumi­neux, qu’il sou­met à exa­men médi­cal, puis théo­lo­gique en s’adressant à l’archevêque de Paris et au Pape… Cela lui sug­gère de faire le lien entre le désordre qu’il constate dans le domaine poli­tique et la néces­si­té de trou­ver un fon­de­ment stable sur lequel recons­truire un ordre cohé­rent. « Les Droits de l’homme sont un texte juri­dique. Aucune loi n’est sup­por­table sans un fon­de­ment : il faut un pro­jet qui la sous-tende. Je ne veux plus que les droits de l’homme pro­cèdent de l’individu, mais d’une clé de voûte unique, qui ne soit pas assu­jet­tie aux modes. » Il faut « un outil com­mun, mais indé­pen­dant de cha­cun. Une norme supé­rieure. Une valeur qui soit indé­pen­dante des hommes. Exté­rieure à eux. Trans­cen­dante. » Lorsqu’il offi­cia­lise les visions dont il béné­fi­cie et les consé­quences qu’il en tire, le Sénat le menace de des­ti­tu­tion pour atteinte à la sacro-sainte laï­ci­té, tan­dis que les évêques émettent des décla­ra­tions alam­bi­quées. (suite…)

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13 Nov 2016

Le trans­hu­ma­nisme est un inté­grisme par La Rédaction

ouvre2Signa­lons la paru­tion de cet inté­res­sant ouvage : « Si le trans­hu­ma­nisme touche un large public au-delà de ses fon­da­teurs, de ses diri­geants ou de ses membres, c’est que les indi­vi­dus intègrent peu à peu les normes de la socié­té où ils vivent, au point de dési­rer les repro­duire. »

« Mieux qu’un pam­phlet, un bré­viaire de résis­tance » qui mérite d’être lu.

Mathieu Térence. Le trans­hu­ma­nisme est un inté­grisme. Cerf, octobre 2016, 100 pages, 10 €

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26 Oct 2016

Pas de liber­té pour les enne­mis de la liber­té ! par La Rédaction

ouvrageDans le n. 131 (prin­temps 2016) de Catho­li­ca, Pierre Charles a pré­sen­té un livre paru en Ita­lie, inti­tu­lé Ancil­la homi­nis, de Pas­quale Dani­lo Quin­to. Il rap­pe­lait en com­men­çant qui était cet auteur, ren­voyant notam­ment à son auto­bio­gra­phie parue en 2012, Da ser­vo di Pan­nel­la a figlio libe­ro di Dio. Ce titre expri­mait clai­re­ment une conver­sion, le pas­sage de la condi­tion d’esclave à la liber­té des enfants de Dieu. Esclave de qui ? de Mar­co Pan­nel­la, l’un des plus typiques repré­sen­tants de tout ce qu’a pu concen­trer de haine de l’ordre social l’athéisme acti­viste post-soixante-hui­tard. Pan­nel­la est mort au mois de mai der­nier, mais son par­ti « radi­cal » demeure actif, tout comme son ancienne com­pagne de com­bat Emma Boni­no, grande zéla­trice de l’avortement, du gen­der et autres grandes causes du moment. (suite…)

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14 Sep 2016

Bicé­pha­lisme pon­ti­fi­cal : illu­sions et dan­gers par Pierre Charles

actigLe 28 juin der­nier, le « pape émé­rite » a fait un bref retour média­tique, pour par­ti­ci­per à une céré­mo­nie orga­ni­sée au Vati­can à l’occasion des 65 ans de son ordi­na­tion sacer­do­tale, et pré­si­dée par son suc­ces­seur.

Cet évé­ne­ment s’est dérou­lé dans le contexte des débats pro­vo­qués par les décla­ra­tions de son secré­taire par­ti­cu­lier, Mgr Georg Gäns­wein, qui, en mai, a déve­lop­pé la théo­rie d’un « minis­tère pétri­nien élar­gi » et d’un « pon­ti­fi­cat d’exception » de Benoît XVI (Aus­nah­me­pon­ti­fi­kat).

Ce mot a don­né lieu à toutes les inter­pré­ta­tions, les­quelles ont appe­lé un reca­drage sans ambi­guï­tés de la part de Fran­çois, dans l’avion qui le rame­nait d’Arménie, le 27 juin 2016 : « Il n’y a qu’un seul pape, l’autre […] est “pape émé­rite”, et non pas le second pape. Il est fidèle à sa parole, c’est un homme de Dieu, très intel­li­gent et qui pour moi est comme un grand-père sage à la mai­son. ». Le dis­cours de remer­cie­ment impro­vi­sé pen­dant quelques minutes par le même « pape émé­rite », le 28 juin, a pris la forme d’une courte dis­ser­ta­tion spi­ri­tuelle. Mais les conser­va­teurs y ont lu une remise en cause de l’actuel « pape actif ». La cen­tra­li­té du motif de l’action de grâce, éga­le­ment pris dans le sens eucha­ris­tique, a été inter­pré­tée par Anto­nio Soc­ci [ici], par exemple, comme une leçon de res­pect eucha­ris­tique admi­nis­trée par « Benoît XVI » au « pape argen­tin », en pleine période de rap­pro­che­ment avec les pro­tes­tants : une véri­table her­mé­neu­tique du déses­poir !. Mais le « pape émé­rite » a, au contraire, mul­ti­plié les témoi­gnages d’obéissance à l’égard de Fran­çois. Com­ment s’y retrou­ver ? (suite…)

Rubrique(s) : Revue en ligne
28 Août 2016

Lec­tures cri­tiques d’une étrange exhor­ta­tion par Bernard Dumont

amoris laetitiaL’exhortation Amo­ris lae­ti­tia [AL] a don­né lieu à de nom­breux com­men­taires. L’un des plus ache­vés est celui d’Anna M. Sil­vas, pro­fes­seur de langues anciennes et de patris­tique à l’université de la Nou­velle Angle­terre (Armi­dale, NSW, Aus­tra­lie), dont on trou­ve­ra le texte com­plet ici.

Une autre ana­lyse, signée Daniele Mat­tius­si, est parue dans le bul­le­tin ita­lien Ins­tau­rare, diri­gé par Dani­lo Cas­tel­la­no, phi­lo­sophe du droit (Udine) et fré­quent contri­bu­teur à Catho­li­ca. Ce texte très dense com­mence par des remarques sur la nature de l’exhortation, inédite tant par son volume (consti­tuant un véri­table trai­té) que par son style non conclu­sif – ne se pré­sen­tant que comme une « pro­po­si­tion » (AL 5) – n’excluant pas les posi­tions contra­dic­toires et les pro­pos polé­miques contre les sup­po­sés par­ti­sans de « la doc­trine froide et sans vie ».

Trois sec­tions de ce texte retiennent par­ti­cu­liè­re­ment l’attention : « le pro­blème du prin­cipe et de la situa­tion », « les incer­ti­tudes autour de la conscience », « l’historicisme et l’herméneutique idéo­lo­gique ».

Le pro­blème auquel il est d’abord fait allu­sion est celui du cri­tère du juge­ment appli­qué à une situa­tion don­née, en l’espèce une situa­tion matri­mo­niale. Si « dis­cer­ne­ment » il doit y avoir, il convient d’en déter­mi­ner le cri­tère. Or, à suivre l’exhortation, ce cri­tère est en réa­li­té un non-cri­tère : le pur fait prime sur l’ordre objec­tif du bien et du mal, qui est la vraie réa­li­té. On retrouve là l’un des prin­cipes de l’idéalisme alle­mand, qui pose que le fait est ipso fac­to ration­nel et donc moral. « Il convient de prê­ter atten­tion à la réa­li­té concrète, parce que “les exi­gences, les appels de l’Esprit se font entendre aus­si à tra­vers les évé­ne­ments de l’histoire” […] » (31) Le « dis­cer­ne­ment »

Le second pro­blème abor­dé par D. Mat­tius­si est celui de la conscience. (suite…)

Rubrique(s) : Revue en ligne
1 Août 2016

Brèves remarques sur les intel­lec­tuels orga­niques par Francois Vauthier

G.ReguzzoniEn com­plé­ment de l’entre­tien avec Giu­seppe Reguz­zo­ni, Sur la fonc­tion du poli­ti­que­ment cor­rect, (n. 132)

1. Dans la socié­té de l’ère contem­po­raine (c’est-à-dire depuis les Lumières jusqu’aujourd’hui) la condi­tion de l’intellectuel n’est pas aisée.

Cela peut s’expliquer en se pla­çant d’un point de vue phi­lo­so­phique, consi­dé­rant la dif­fé­rence entre l’ancienne socié­té et la nou­velle, celle qui s’organise sur les prin­cipes des Lumières.

Dans une socié­té d’ordre, de type tra­di­tion­nel, l’artiste, le poète, le pen­seur ont simul­ta­né­ment une fonc­tion dés­in­té­res­sée — c’est le pri­mat de la contem­pla­tion, la recherche du bonum hones­tum par excel­lence — mais aus­si une fonc­tion sociale, d’exaltation du Bien, du Vrai, du Beau, une fonc­tion de témoin. La rela­tion de l’intellectuel à la socié­té peut être déli­cate (cf. la caverne de Pla­ton) mais il accom­plit à sa manière une sorte de sacer­doce.

2. Dans la socié­té nou­velle, à l’inverse, l’intellectuel a peine à trou­ver la même place, même pour les plus éru­dits et dés­in­té­res­sés.

« On ne doit pas s’at­tendre à ce que les rois se mettent à phi­lo­so­pher, ou que des phi­lo­sophes deviennent rois ; ce n’est pas non plus dési­rable parce que déte­nir le pou­voir cor­rompt inévi­ta­ble­ment le libre juge­ment de la rai­son.

Mais que des rois ou des peuples rois (qui se gou­vernent eux-mêmes d’a­près des lois d’é­ga­li­té) ne per­mettent pas que la classe des phi­lo­sophes dis­pa­raisse ou devienne muette, et les laissent au contraire s’ex­pri­mer libre­ment, voi­là qui est aux uns comme aux autres indis­pen­sable pour appor­ter de la lumière à leurs affaires, et parce que cette classe, du fait de son carac­tère même, est inca­pable de for­mer des cabales et de se ras­sem­bler en clubs, elle ne peut être sus­pec­tée d’être accu­sée de pro­pa­gande. » (Kant, Pro­jet de Paix per­pé­tuelle)

Les « Phi­lo­sophes » sur­ent se don­ner le beau rôle ! La concep­tion tra­di­tion­nelle, ici hypo­cri­te­ment reprise, n’a ces­sé d’être ins­tru­men­ta­li­sée, par Condor­cet, par Kant lui-même, par Fichte. Ce der­nier, dans sa 4e confé­rence sur La des­ti­na­tion du Savant (Über die Bes­tim­mung des Gelehr­ten, 1794 ; le « savant » étant celui qui « sait », par oppo­si­tion au com­mun des mor­tels), confère à  l’intellectuel la mis­sion d’émanciper l’humanité.

Mais comme cette éman­ci­pa­tion est liée à des luttes poli­tiques, l’intellectuel dont il s’agit se trans­forme en agent idéo­lo­gique, en acti­va­teur révo­lu­tion­naire. C’est la pra­tique la plus visible au XIXe siècle. Pen­sons à Vic­tor Hugo, à Miche­let, à Dur­kheim, à Wag­ner, tous « enga­gés » à leur manière, dans la suite logique de leurs pré­dé­ces­seurs du siècle des Lumières. (suite…)

Rubrique(s) : Revue en ligne
27 Déc 2015

L’art reli­gieux est-il encore com­pré­hen­sible ? par Emanuela Fogliadini

Les fonc­tions de l’i­mage sacrée dans le chris­tia­nisme. La fonc­tion de l’art sacré est aujourd’­hui stra­té­gique. Le chris­tia­nisme doit réap­prendre à uti­li­ser judi­cieu­se­ment et intel­li­gem­ment les tré­sors que la Tra­di­tion lui offre.

 

Rubrique(s) : Numéro 128, Revue en ligne
14 Jan 2015

Com­men­taires : Le renon­ce­ment du Louvre par Christine Sourgins

[note : cet article est paru dans le numé­ro 126 de catho­li­ca]

Si les déci­sions prises par la nou­velle direc­tion de Louvre n’étaient pas amen­dées, le « musée le plus fré­quen­té du monde » devien­drait un musée par­tiel et par­tial.
En effet, en 2010, le pou­voir exé­cu­tif d’alors avait déci­dé de créer au Louvre un dépar­te­ment consa­cré aux arts des chré­tien­tés d’Orient, des empires byzan­tins et slaves, déci­sion enté­ri­née par le conseil d’administration de l’établissement public du musée, alors pré­si­dé par Hen­ri Loy­rette. La créa­tion de ce dépar­te­ment fut annu­lée le 15 avril 2013, jour de la prise de fonc­tion du nou­veau pré­sident du Louvre, Jean-Luc Mar­ti­nez. C’est dire si cette déci­sion a été prise rapi­de­ment « sans qu’ait été menée une réflexion appro­fon­die » comme le déplore dans une lettre à La Croix l’ancienne res­pon­sable de la sec­tion copte au Louvre et conser­va­teur géné­ral hono­raire du patri­moine, Marie-Hélène Rut­schows­caya ((. La Croix, 7 avril 2014. )) .
Celle-ci montre qu’on ne peut, pour jus­ti­fier cette sup­pres­sion, invo­quer des rai­sons d’économie. L’opération avait été pré­vue à bud­get constant, le per­son­nel néces­saire se trou­vant déjà au sein du Louvre. On ne man­quait pas d’espace non plus (le futur dépar­te­ment devait occu­per l’aile Riche­lieu) et les œuvres étaient déjà en pos­ses­sion du musée ((. Les esti­ma­tions qui cir­culent font état de 11 000 pièces (10 000 œuvres coptes et un mil­lier de byzan­tines et post-byzan­tines). )) . Or elles sont actuel­le­ment pré­sen­tées, lorsqu’elles le sont, dans un joyeux désordre, dis­per­sées dans huit dépar­te­ments. Elles couvrent l’Europe orien­tale (Grèce, Bal­kans, Ukraine, Armé­nie), la Rus­sie, le Proche-Orient chré­tien (Liban, Palestine,Syrie…) et l’Égypte copte jusqu’au Sou­dan et à l’Éthiopie. Marie-Hélène Rut­schows­caya parle d’« aber­ra­tion » : des objets coptes sont conser­vés au dépar­te­ment des Anti­qui­tés grecques, étrusques et romaines, ou encore au dépar­te­ment des Objets d’art. Autre­ment dit, ces œuvres sont « décon­nec­tées de tout contexte his­to­rique et cultu­rel ». Le musée, en per­sé­vé­rant dans cette inco­hé­rence, orga­nise auprès du public comme des cher­cheurs l’invisibilité et l’illisibilité de ces œuvres et des cultures dont elles témoignent.
Le silence com­plet qui a entou­ré ce revi­re­ment étonne : qua­si­ment pas d’échos dans les grands médias. Que n’auraient-ils pas dit si l’on avait sup­pri­mé le pro­jet de dépar­te­ment des arts de l’Islam, celui du Musée des civi­li­sa­tions de l’Europe et de la Médi­ter­ra­née (Mucem, Mar­seille) ou celui des Arts pre­miers ?
Il semble que ce nou­veau dépar­te­ment ait été un sujet cli­vant dès ses pré­misses. Cer­tains conser­va­teurs auraient déplo­ré un regrou­pe­ment d’œuvres en fonc­tion de cri­tères reli­gieux. Voi­là des conser­va­teurs peu au fait de ce qui se pra­tique dans d’autres grands musées du monde, où une approche civi­li­sa­tion­nelle, et non pas confes­sion­nelle, est mise en place. Quel manque de ver­gogne dans l’invocation de ce cri­tère après l’ouverture d’un dépar­te­ment des arts de l’Islam ! On nous dit éga­le­ment que ce pro­jet aurait néces­si­té une impor­tante réor­ga­ni­sa­tion des autres dépar­te­ments et de leurs champs de com­pé­tences ; mais le dépar­te­ment des arts de l’Islam posait les mêmes pro­blèmes et cela n’a pas arrê­té le pro­jet.
Les expo­si­tions au musée du Louvre, Arme­nia sacra, Sainte Rus­sie et Chypre en 2013 montrent l’intérêt sus­ci­té par ces sujets. De plus l’actualité s’accélère au Proche-Orient et l’on ne peut plus dire, avec le minis­tère de la culture alors diri­gé par Auré­lie Filip­pet­ti, « que la créa­tion de ce dépar­te­ment n’[est] pas une urgence ». « Les évé­ne­ments dra­ma­tiques que nous connais­sons actuel­le­ment au Proche-Orient et en Europe de l’Est devraient nous inci­ter à être plus atten­tifs » concluait de son côté, en avril der­nier, Marie-Hélène Rut­schows­caya.
Depuis, l’Etat isla­mique (ou Daech) n’a ces­sé de sévir et l’on assiste à une des­truc­tion mas­sive et des hommes et du patri­moine cultu­rel des chré­tiens d’Orient, notam­ment en Syrie et en Irak. La lettre noûn stig­ma­tise, pour la per­sé­cu­tion, les chré­tiens comme autre­fois l’étoile jaune, les juifs. La France ne s’engagera-t-elle qu’à lar­guer des bombes alors que le com­bat contre l’ignorance est fon­da­men­tal ?
Car l’ignorance nour­rit le mépris et le mépris ali­mente la vio­lence. Il est temps que le devoir d’histoire vienne apai­ser et cor­ri­ger le devoir de mémoire car la mémoire est pas­sion­nelle, par­tielle et par­tiale.

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7 Jan 2015

Fran­cis­cains de l’Im­ma­cu­lée : un échec pré­vi­sible par Bernard Dumont

[note : ce texte est paru dans le numé­ro 126 de catho­li­ca (hiver 2015]

Le pape Ber­go­glio affec­tionne les entre­tiens peu pro­to­co­laires accor­dés à la presse. Der­niè­re­ment (7 décembre 2014) il s’est confié à la jour­na­liste argen­tine Eli­sa­bet­ta Piqué, le texte étant publié le len­de­main dans le quo­ti­dien La Nación, de Bue­nos Aires. Par­mi les sujets abor­dés, celui des « divor­cés rema­riés ». « Ils ne sont pas excom­mu­niés, c’est vrai. Mais ils ne peuvent pas être par­rains de bap­tême, ils ne peuvent pas faire la lec­ture à la messe, ils ne peuvent pas don­ner la com­mu­nion, ils ne peuvent pas faire le caté­chisme, ils ne peuvent… il y a comme ça sept choses, j’ai la liste ici, mais assez ! Si je compte tout, ils sem­ble­raient bien excom­mu­niés de fac­to ! Alors il faut ouvrir un peu plus les portes. Pour­quoi ne peuvent-ils pas être par­rains ? « Non, mais rends-toi compte, quel témoi­gnage ils vont don­ner au filleul !» Pre­nons le cas d’un homme ou d’une femme qui lui disent : « Ecoute, mon ché­ri, je me suis trom­pé, j’ai déra­pé sur ce point, mais je crois que le Sei­gneur m’aime, je veux ser­vir Dieu, le péché ne m’a pas vain­cu, je vais de l’avant ». Est-ce qu’il y a un témoi­gnage plus chré­tien que celui-là ? Ou si arrive un de ces escrocs de poli­ti­ciens que nous avons, des cor­rom­pus, pour être par­rain, et qui est bien marié à l’église, vous l’acceptez ? Et quel témoi­gnage don­ne­ra-t-il au petit filleul ? Un témoi­gnage de cor­rup­tion ? Alors, nous devons chan­ger un peu les choses dans la manière de juger. »
La com­pré­hen­sion la plus large trans­pire du pro­pos, se fon­dant sur une intui­tion pri­vi­lé­giant une forme de bon sens pla­cé au-des­sus de la loi, fût-elle celle du Christ. Ain­si se défi­nit l’image com­pas­sion­nelle que les grands médias se plaisent à saluer et répandre, non sans fon­de­ment objec­tif.
Pour des rai­sons obs­cures, au moins à pre­mière vue, la com­pas­sion s’applique tou­te­fois inéga­le­ment. Le cas des Frères fran­cis­cains de l’Immaculée (FFI) en donne cer­tai­ne­ment la plus cho­quante illus­tra­tion. Mal­gré le silence qui leur est impo­sé et qu’ils acceptent de res­pec­ter, et peut-être même à cause de cela, leur situa­tion est désor­mais connue de par le monde et crée une gêne.
La nou­velle la plus récente à leur sujet a été annon­cée par le jour­na­liste Mar­co Tosat­ti, dans le quo­ti­dien turi­nois La Stam­pa du 20 novembre 2014 ((. Repro­duit sur http://www.lastampa.it/2014/11/20/blogs/san-pietro-e-dintorni/ffi-la-cei-scriveai-vescovi-0epwWCOl8ttfO0K9XjaktK/pagina.html. )) . Elle a agi­té le milieu ecclé­sias­tique ita­lien, sur­tout romain, avant d’être réper­cu­tée sur divers sites. Le père Vol­pi, ofm cap., com­mis­saire apos­to­lique en charge de la rec­ti­fi­ca­tion des FFI, pré­sent à l’assemblée plé­nière de la Confé­rence épis­co­pale ita­lienne (CEI) mi-novembre, a aver­ti les évêques qui seraient « ten­tés » d’accueillir dans leur dio­cèse des prêtres de la congré­ga­tion dési­reux de quit­ter leur ordre. Le nou­veau secré­taire géné­ral de la CEI, Mgr Galan­ti­no, a appuyé cette démarche d’une lettre à ses confrères leur « rap­pe­lant » l’obligation cano­nique de devoir contac­ter le com­mis­saire préa­la­ble­ment à l’examen de la demande d’incardination venant de prêtres FFI. Il semble que grande soit la crainte de voir se mul­ti­plier de tels départs et plus encore l’acceptation de divers évêques de cou­vrir des reli­gieux dont il appa­raît clai­re­ment qu’ils sont injus­te­ment trai­tés, sans qu’aucun grief n’ait jamais été for­mu­lé clai­re­ment, ni cano­ni­que­ment, à leur encontre.
Un site ouvert depuis juin 2014 ((. Cf. http://veritacommissariamentoffi.wordpress.com/2014/11/17/senza-istituzione-non-ce-carisma/. )) , dont le ou les res­pon­sables ne sont pas iden­ti­fiés, a encore accen­tué le mes­sage, peu après la tenue de l’assemblée de la CEI, dans des termes qui retiennent l’attention.
« Un groupe (25+25) prêtres et anciens étu­diants » des FFI a pris contact avec cer­tains évêques dio­cé­sains pour qu’ils les accueillent. « Cette demande a sus­ci­té réserves et per­plexi­té de la part des pas­teurs des Eglises locales parce qu’elle s’est avé­rée non conforme au désir natu­rel de trans­for­mer une voca­tion [reli­gieuse] indi­vi­duelle en celle de prêtre dio­cé­sain, étant un stra­ta­gème pour se sous­traire à l’autorité de la Congré­ga­tion pour les Ins­ti­tuts de vie consa­crée et à celle du Com­mis­saire apos­to­lique en pleine phase de véri­fi­ca­tion cano­nique, doc­tri­nale, dis­ci­pli­naire et finan­cière. Le but final des demandes d’incardination dio­cé­saine appa­raît clair : c’est la consti­tu­tion d’une plate-forme de lan­ce­ment, si pos­sible off-shore, comme celle de l’archidiocèse de Lipa aux Phi­lip­pines, ou dans un dio­cèse de mino­ri­té catho­lique, comme en Angle­terre, en vue de regrou­per des clercs ordon­nés in sacris et d’ex-séminaristes FFI dans l’attente d’un chan­ge­ment de cap dans l’actuel gou­ver­ne­ment de l’Eglise uni­ver­selle qui n’existe que dans les mirages men­taux aux­quels n’échappent pas des polé­mistes tels qu’Antonio Soc­ci », etc. Le ton polé­mique et mena­çant n’hésite pas à incri­mi­ner ceux des ecclé­sias­tiques qui pour­raient avoir la « fai­blesse » de venir en aide aux reli­gieux concer­nés, d’imiter, par exemple, la « com­pli­ci­té du for­te­ment dis­cu­té car­di­nal Franc Rodé » qui avait accep­té de por­ter une requête au pape Fran­çois pour que les reli­gieux dési­reux de célé­brer selon l’ancien Ordo puissent rele­ver de la Com­mis­sion Eccle­sia Dei.
Il est remar­quable que ce site ano­nyme soit à la fois éton­nam­ment bien infor­mé et d’une vio­lence de lan­gage non dis­si­mu­lée, diri­gée prin­ci­pa­le­ment contre tous ceux qui sont ame­nés à mani­fes­ter ne serait-ce que leur éton­ne­ment devant les pro­cé­dés dont sont vic­times des reli­gieux dont l’image prin­ci­pale est la stricte obser­vance de la voca­tion fran­cis­caine. Pour­quoi cette hargne, alors même que le nombre des reli­gieux en cause est res­treint, et les espé­rances qui leur sont prê­tées pure­ment ima­gi­naires ? On peut émettre l’hypothèse qu’elle puisse tra­duire un cer­tain dépit devant la mul­ti­pli­ca­tion des réac­tions de répro­ba­tion face à la somme d’irrégularités com­mises, et un trai­te­ment en forme de deux poids, deux mesures. Com­pa­ra­ti­ve­ment, en effet, l’action répres­sive à l’encontre des FFI – dont les fautes sup­po­sées n’ont jamais été pré­ci­sées autre­ment que par voie d’insinuations vagues –, d’une part, et de l’autre, l’assainissement de la situa­tion des Légion­naires du Christ, pour prendre un cas pour le moins for­te­ment dif­fé­rent, ne se res­semblent nul­le­ment. Cette der­nière socié­té, fon­dée par un impos­teur scan­da­leux, est trai­tée avec beau­coup de len­teur, selon des pro­cé­dures cano­niques régu­lières et avec de grandes pré­cau­tions afin d’éviter de por­ter atteinte à d’authentiques voca­tions.
Il est pro­bable qu’avec le temps, la rage des­truc­trice exer­cée contre des reli­gieux à qui l’on reproche avant tout leur état d’esprit « trop » tra­di­tion­nel (deve­nu pour les besoins de la cause « cryp­to-lefeb­vriste » sinon ultra­ca­tho­lique!) n’ayant pas réus­si à atteindre l’objectif recher­ché puisse bien pro­duire un effet inverse de celui que pour­suivent ceux qu’elle anime.

Rubrique(s) : Revue en ligne, Textes
15 Mar 2014

Eglise et poli­tique : nou­velle paru­tion par La Rédaction

L’ou­vrage “Eglise et poli­tique” est paru ! Aux édi­tions Artège

couv.jpg« Au sein de l’Église le sys­tème phi­lo­so­phique et poli­tique issu des Lumières a long­temps été com­bat­tu de front. Puis des stra­té­gies ont été mises en oeuvre pour ten­ter d’en limi­ter l’emprise.
Le concile Vati­can II s’est effor­cé d’en agréer les prin­ci­pales exi­gences, escomp­tant en retour recon­nais­sance et bien­veillance. Cette ten­ta­tive est un échec. Dans ces condi­tions, il convient d’autant moins d’accepter le fait accom­pli que le sys­tème domi­nant arrive à la fin de son par­cours, comme en témoignent l’emballement et les contra­dic­tions internes de la moder­ni­té tar­dive. Le moment est venu de révi­ser les approches ima­gi­nées jusqu’ici afin de défi­nir un para­digme adap­té aux temps qui s’annoncent.
Le pré­sent ouvrage pro­pose une pre­mière réflexion en ce sens. »

Avec les contri­bu­tions de :  Juan Fer­nan­do Sego­via, Julio Alvear Tél­lez, Miguel Ayu­so Torres, Chris­tophe Réveillard, Mgr Igna­cio Bar­rei­ro Carám­bu­la, José Miguel Gam­bra Gutiér­rez, John Rao, Dani­lo Cas­tel­la­no, Gilles Dumont, Syl­vain Luquet, Ber­nard Dumont.

Com­man­dez en ligne l’ou­vrage sur le site des édi­tions

L’ou­vrage est éga­le­ment dis­po­nible en librai­rie

Rubrique(s) : Revue en ligne
3 Juil 2013

Le père Che­nu, de la Rédemp­tion à la Révo­lu­tion par Florent Gaboriau

[note : cet entre­tien a été publié dans catho­li­ca, n. 62, p. 32–37].

CATHOLICA — Col­la­bo­ra­teur de La Vie Intel­lec­tuelle et de Sept, le père Che­nu avait envoyé dès 1934 deux jeunes domi­ni­cains tra­vailler dans les mines de Char­le­roi, d’où ils étaient repar­tis l’année sui­vante pour cher­cher de l’embauche à Paris, comme camion­neurs. Ne porte-t-il pas for­te­ment la marque d’une époque ?

Florent GABORIAU — A ce moment-là, dans les années trente, il était sim­ple­ment pro­fes­seur d’histoire des doc­trines (il n’a d’ailleurs jamais été pro­fes­seur de théo­lo­gie). Très vite, en 1932, il est deve­nu régent des études. Rien n’apparaît alors ouver­te­ment de ce qui sur­vien­dra ulté­rieu­re­ment. C’est seule­ment le jour de la saint Tho­mas 1937, lors du pané­gy­rique en usage chez les domi­ni­cains, qu’il fit une sorte de pro­gramme de l’Ecole du Saul­choir, alors située à la fron­tière belge, près de Tour­nai, depuis la sépa­ra­tion de l’Eglise et de l’Etat. Cette confé­rence publiée sous le titre de Une école de théo­lo­gie, le Saul­choir, atti­ra l’attention des auto­ri­tés domi­ni­caines à Rome, notam­ment à l’Angelicum dont Che­nu avait été l’élève quelques années aupa­ra­vant. Il est dif­fi­cile d’exprimer par des éti­quettes les réserves faites alors sur un conte­nu doc­tri­nal. Une étude sérieuse des objec­tions de ses frères domi­ni­cains n’a pour ain­si dire jamais été menée. Invi­té par le rec­teur de l’Angelicum à répondre à dix ques­tions, il s’y est réso­lu de façon satis­fai­sante, mais les ques­tions manus­crites rédi­gées en latin après une lec­ture atten­tive du texte de son mani­feste mettent le doigt sur ce qui fai­sait pro­blème. Ces ques­tions ont été publiées dans l’édition de 1985 d’Une école de théo­lo­gie, le Saul­choir, au Cerf qui repro­duit un inté­res­sant fac-simi­lé. Mais l’auteur de ce ques­tion­naire n’avait pas été iden­ti­fié. Per­son­nel­le­ment j’hésitais entre deux écri­tures, celle de Gar­ri­gou-Lagrange ou celle de Browne. D’autres textes manus­crits retrou­vés depuis me per­mettent grâce aux recou­pe­ments que j’ai pu faire de conclure à une rédac­tion du P. Browne, domi­ni­cain irlan­dais deve­nu plus tard Maître de l’Ordre et car­di­nal. On a cou­tume de rame­ner ce conflit aux pro­po­si­tions d’une que­relle sus­ci­tée par de « méchants romains », au sur­plus taxés d’« imbé­ciles ». En réa­li­té ce pre­mier conten­tieux qui est intra-ecclé­sial ren­voie à un enjeu qui est intra-doc­tri­nal. Il ne tient pas aux per­sonnes mais aux prises de posi­tion dis­cu­tables dont ce livre est le vec­teur. Il sera sanc­tion­né en février 1942 par une déci­sion du Saint-Office qui le mit bru­ta­le­ment à l’Index.

Et son évo­lu­tion mar­xi­sante ?

C’est bien plus tard que l’attrait du mar­xisme se fera sen­tir, et encore plu­tôt dans l’ordre de la pra­tique que dans celui des théo­ries. Certes, le trau­ma­tisme de 1942 a été pour Che­nu une césure dans sa vie per­son­nelle en ce sens que sa charge de régent au Saul­choir lui fut reti­rée et qu’il s’est retrou­vé, comme on dit, « exi­lé » à Paris, puis à Rouen, ce qui n’est quand même pas Sainte-Hélène. Mais l’hagiographie clé­ri­cale adore ce mythe de « l’exil » en des cités pres­ti­gieuses (Oxford, Jéru­sa­lem ; New York pour Teil­hard). J’ai connu cette époque de 1942. Bien sûr, la mesure était dou­lou­reuse et le trau­ma­tisme ne se refer­me­ra jamais com­plè­te­ment : Che­nu a écrit un livre qu’il croyait très bon, pro­phé­tique et voi­là qu’on lui assène un cui­sant désa­veu. Mais pour en venir à ce que vous appe­lez son évo­lu­tion mar­xi­sante, les années de guerre ne sont pas des années déci­sives à cet égard. Il n’y avait alors que très peu de réflexion sur le plan poli­tique. Che­nu, comme beau­coup alors, est en état d’expectative : il ne s’engage pas. Il faut attendre l’après-guerre, quand se mettent en place tous les renou­veaux, pour qu’alors, bien sûr, il en fasse par­tie, il épouse son temps avec toutes ses efflo­res­cences. Même là il n’est pas d’abord de ceux qui se montrent les plus har­dis, les plus nova­teurs, peut-être parce qu’il reste encore sous le coup de son épreuve ou parce que les évé­ne­ments le dépassent un peu. L’attrait mar­xi­sant ne pro­duit ses effets que plus tard, autour des années 1946–1950. Le mou­ve­ment est alors lan­cé, où Che­nu va trou­ver sa place, une place ‑par­ti­cu­lière.

C’est à ce moment-là qu’il signe l’appel de Stock­holm et par­ti­cipe au Mou­ve­ment de la Paix. Quelle place occupe-t-il exac­te­ment dans ce milieu dont La Quin­zaine énonce alors les idées domi­nantes : com­bat ouvrier, lutte pour la paix, déco­lo­ni­sa­tion ?

Ces années-là furent très riches, et le P. Che­nu très écou­té : le P. Augros qui fut l’inspirateur de la Mis­sion de France le consulte, comme le P. Godin à la Mis­sion de Paris sou­te­nue par le car­di­nal Suhard. Godin était célèbre pour son opus­cule France, pays de mis­sion ? Nous avons aus­si la tra­duc­tion de ce double mou­ve­ment dans les prêtres-ouvriers. Ici le P. Che­nu est incon­tes­ta­ble­ment très enga­gé. Mais si on le trouve au pre­mier plan, c’est pour y jouer un rôle au total modé­ra­teur, com­pa­ré en tout cas à celui de deux autres domi­ni­cains, Mon­tu­clard et Hen­ri Des­roche, plus théo­ri­ciens que lui à bien des égards. Des­roche, que j’ai le mieux connu, était un remar­quable pro­fes­seur d’histoire de la pen­sée. Il venait en cours avec toutes les œuvres de l’auteur à étu­dier et il avait le don de péné­trer au cœur de sa logique. On deve­nait car­té­sien avec Des­cartes, kan­tien avec Kant, nietz­schéen avec Nietzsche. Admi­rable talent de l’empathie ! Ensei­gnant Marx il fai­sait ain­si de ses audi­teurs des mar­xistes, puisqu’il man­quait, dans chaque cas, l’attention au défaut qui aurait per­mis d’échapper au sys­tème épou­sé avec enthou­siasme. On le vit quelques années plus tard, sans trop d’étonnement, quit­ter l’Eglise en 1950 à l’occasion de la publi­ca­tion de son livre Signi­fi­ca­tion du mar­xisme qui a été lui aus­si condam­né. Vous avez d’ailleurs déjà sou­li­gné dans Catho­li­ca qu’il avait décla­ré plus tard à France culture en 1991 : « Che­nu est l’archétype de ceux qui sont res­tés. Je suis le pro­to­type de ceux qui sont sor­tis ». Che­nu avait pour lui d’être très atta­ché à la vie de com­mu­nau­té alors que Des­roche menait une vie bour­geoise (ce qui n’a jamais empê­ché per­sonne de lor­gner vers le mar­xisme). Atteint d’une sur­di­té pré­coce qui explique et excuse son enfer­me­ment, le P. Mon­tu­clard, domi­ni­cain lui aus­si, avait lan­cé Jeu­nesse de l’Eglise, qui publiait épi­so­di­que­ment des cahiers où ce « rajeu­nis­se­ment » cher­chait les condi­tions de sa réa­li­sa­tion. Sen­sible aux struc­tures, il sou­te­nait qu’il fal­lait d’abord bâtir une socié­té juste et ensuite seule­ment appli­quer la mys­tique de conquête propre à l’Action catho­lique. Le terme de mis­sion se trouve d’ailleurs à cette époque qua­si ins­ti­tu­tion­na­li­sé avec la « Mis­sion ouvrière », la « Mis­sion de Paris », la « Mis­sion de France ». Tout était mis­sion. Dans ce concept, le par­te­naire se trouve être le monde déchris­tia­ni­sé que le chris­tia­nisme fran­çais a décou­vert à ses portes. Le car­di­nal Ver­dier a joué là un grand rôle. Il a com­pris que l’Eglise ne devait pas se conten­ter de soi­gner ses fidèles, mais qu’elle devait s’ouvrir et aller vers le monde. Cepen­dant à cette époque-là les ten­sions poli­tiques étaient énormes, comme le montrent les mani­fes­ta­tions contre le géné­ral Ridg­way. Une troi­sième guerre mon­diale se pro­fi­lait à l’horizon, on était à deux doigts d’une confla­gra­tion géné­rale. L’Appel de Stock­holm prô­nant la paix (der­rière laquelle se dis­si­mu­lait une pax sovie­ti­ca), Che­nu y sous­cri­vit comme d’autres domi­ni­cains. C’était sa convic­tion du moment en har­mo­nie avec l’américanophobie et la sovié­to­phi­lie ambiantes. Nombre de fai­blesses et d’illusions ont en véri­té à cette époque leur racine dans un manque de phi­lo­so­phie : les chré­tiens dis­posent d’un arme­ment phi­lo­so­phique insuf­fi­sant. Excellent ver­bo-moteur pour sa part, Che­nu est un piètre pen­seur. Il com­pense par ce qui est la méta­phy­sique du pauvre : le recours aux phi­lo­so­phies de l’histoire ; elles sont à la por­tée de tous, en guise d’ersatz, pour jus­ti­fier des com­por­te­ments en accord avec le Zeit­geist. A noter que, contrai­re­ment à d’autres domi­ni­cains (Joseph Robert, Jacques Loew ou Etienne Scre­pel) tous domi­ni­cains de ter­rain, Che­nu n’est pas prêtre-ouvrier : il reste dans son couvent. Il par­ti­cipe chaque semaine à une réunion de prêtres-ouvriers, mais pour les accom­pa­gner. Il est sur­tout un guide que l’on consulte beau­coup.

Pour­tant, dans son ouvrage sur les prêtres-ouvriers, Fran­çois Leprieur repro­duit une pho­to­gra­phie du P. Che­nu s’adressant aux ouvriers de Billan­court en 1952 dans une pos­ture com­pa­rable à celle de Sartre en 1968…

L’un n’exclut pas l’autre, bien sûr. Che­nu avait une âme d’entraîneur.

En liant mis­sion et enga­ge­ment dans les réformes de struc­tures, Che­nu en vient à reprendre à son compte une for­mule pro­non­cée dès 1947 lors d’une réunion de réflexion sur les prêtres-ouvriers : « Ce qu’en termes sacrés on appelle rédemp­tion est en termes pro­fanes révo­lu­tion »…

En tra­dui­sant Rédemp­tion par révo­lu­tion la for­mule du père Lebret altère et même déna­ture la pre­mière. La Rédemp­tion se situe à un autre niveau que la révo­lu­tion. Celle-ci reste dans le domaine natu­rel des struc­tures que l’on amé­liore. La Rédemp­tion, elle, ren­voie au salut au sens biblique du terme. Que l’homme soit per­du et éven­tuel­le­ment sau­vé, ce drame de la per­sonne échappe tota­le­ment à ceux qui en consi­dèrent le seul condi­tion­ne­ment social. Ils ont sécu­la­ri­sé le mot salut de telle sorte qu’on exclut la consi­dé­ra­tion du sta­tut pro­fond de l’homme qui est celui de « l’être pour la mort », for­mule de Hei­deg­ger, et déjà tex­tuel­le­ment de saint Tho­mas. L’oubli de ce des­tin est lié à un exis­ten­tiel pure­ment hori­zon­tal : le salut de l’homme reste alors à por­tée d’un deve­nir tout tem­po­rel qui consiste à rendre l’homme plus heu­reux, plus dis­pos, mieux dis­po­sé. Mais ce bien-être n’empêche pas que l’homme meure, ce qui est quand même une sin­gu­lière pri­va­tion du bon­heur acquis ! Igno­rant la mort en phi­lo­so­phie, on ignore sa cause : l’anthropologie est ain­si déles­tée de son vrai poids, détour­née de com­prendre que notre être pro­vi­soire soit effec­ti­ve­ment condam­né à ne plus être. Si la méta­phy­sique ignore cette don­née fon­da­men­tale, on croit pou­voir s’en remettre aux spé­cu­la­tions por­teuses des pro­messes dont se char­ge­ra « l’histoire ». Le mot Rédemp­tion perd alors son sens spé­ci­fique en deve­nant syno­nyme de révo­lu­tion. Comme tel, le terme de rédemp­tion ren­voie à la mort du Christ, seule cause de cet effet. Che­nu cor­rige à l’occasion : « L’évangélisation est d’un autre ordre que la civi­li­sa­tion […] L’histoire pro­fane n’est pas source de salut ».

Que pen­ser de l’intuition du P. Che­nu selon laquelle c’est par la réforme des struc­tures que le grand nombre sera sau­vé ? Même si elle paraît rejoindre une affir­ma­tion de Pie XI sur la néces­saire dimen­sion poli­tique de la cha­ri­té, n’est-ce pas pour lui une façon de s’en prendre aux « étroi­tesses ins­ti­tu­tion­nelles » de l’Eglise ?

L’importance des struc­tures était une de ses « marottes » au bon sens du terme. Sa visée sur les struc­tures poli­tiques est évi­dente et s’inscrit bien dans la ligne d’Economie et huma­nisme du P. Lebret, qui vou­lait faire péné­trer dans les struc­tures l’idéal chré­tien. Le P. Mon­tu­clard y était aus­si très sen­sible comme on l’a dit. Cette chris­tia­ni­sa­tion des struc­tures est un objec­tif des plus justes. Mais la tra­duc­tion que Che­nu en a faite le conduit à cri­ti­quer les struc­tures de l’Eglise de telle sorte qu’on peut se deman­der si elle n’émane pas, à son insu, d’un res­sen­ti­ment anti-romain.

Sur la fin de sa vie l’optimisme trop facile du P. Che­nu paraît voi­lé d’amertume. Il rédige, après le mes­sage de Jean-Paul II à Pue­bla, un bref essai inti­tu­lé La « doc­trine sociale » de l’Eglise comme idéo­lo­gie. Cette his­toire de l’abandon de toute pré­ten­tion par l’Eglise à voir orga­ni­ser la socié­té selon un modèle chré­tien est dans la logique de la « convi­vance » avec le monde tel qu’il est, avec les richesses attri­buées à l’incroyance moderne…

Che­nu en veut à la doc­trine sociale, c’est mani­feste. C’est qu’il redoute une Eglise qui gar­de­rait une visée d’organisation de la vie en socié­té. Eco­no­mie et huma­nisme a fait son temps en 1979, mais au moment où il s’en prend à la « doc­trine sociale » de l’Eglise Che­nu rejoint un héri­tier de la pen­sée de cette revue, le P. Vincent Cos­mao, dont paraît la même année au Cerf un livre paral­lèle au sien, Chan­ger le monde, une tâche pour l’Eglise. Che­nu choi­sit à ce pro­pos de se mon­trer his­to­rien approxi­ma­tif : il per­siste à pen­ser que Paul VI et Jean-Paul II écartent le vocable de doc­trine sociale, alors que mani­fes­te­ment pour ce der­nier le contraire est attes­té. Il arrive que mal­heu­reu­se­ment Che­nu fasse de l’histoire comme un avo­cat bâtit sa plai­doi­rie, et le pro­cé­dé se véri­fie plus d’une fois, y com­pris dans sa lec­ture du moyen âge.

Quelle est la pos­té­ri­té de Che­nu ?

La chose requiert une ana­lyse déli­cate, impos­sible à mener ici puisqu’on aborde le sou­ter­rain des liai­sons avec ce que j’appellerais les enfants de l’herméneutique. Che­nu a pro­duit sans doute quelques imi­ta­teurs qui courent après le suc­cès en se met­tant à la remorque du deve­nir. Quoi d’étonnant ? Vic­tor Hugo disait avec une pointe d’ironie : « Et sur Racine mort, le Cam­pis­tron pul­lule »… Et il n’est pas exclu que les médiocres détiennent le pou­voir. La spé­ci­fi­ci­té du chris­tia­nisme comme contes­ta­tion du mon­dain — Jésus est le seul qui ait eu le front de dire : « La mort, je l’ai vain­cue » — échappe à beau­coup. Le mar­xisme passe, d’autres spé­cu­la­tions aus­si ; mais ce qui reste d’un cer­tain esprit est l’adaptation conti­nuelle de la théo­lo­gie aux pen­sées qui pro­mettent le suc­cès. Une phi­lo­so­phie du deve­nir court per­pé­tuel­le­ment après la der­nière chi­mère. L’épouser implique une suc­ces­sion de mariages et de divorces. Le rêve rem­place alors la rai­son dans ce qui n’est plus la phi­lo­so­phie de saint Tho­mas, c’est-à-dire une méta­phy­sique concrète, gagée sur l’existant, mais une ouver­ture aux pen­sées flot­tantes du sac et du res­sac.

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20 Mai 2013

Le mal et son châ­ti­ment. Rap­pel de quelques véri­tés élé­men­taires par Paolo Pasqualucci

[note : cet article est paru dans le n. 77 de catho­li­ca, p. 51–63]
nous repro­dui­sons ici, en tra­duc­tion effec­tuée par nos soins, avec l’aimable auto­ri­sa­tion de l’auteur et de l’éditeur, le cha­pitre X d’un livre inti­tu­lé Poli­ti­ca e reli­gione. Sag­gio di teo­lo­gia del­la sto­ria (Anto­nio Pel­li­ca­ni, Rome, octobre 2001), dont une édi­tion fran­çaise est d’autre part atten­due. L’auteur en est Pao­lo Pas­qua­luc­ci, ancien pro­fes­seur de phi­lo­so­phie du droit à l’université de Pérouse, spé­cia­liste de la pen­sée poli­tique et reli­gieuse moderne, en par­ti­cu­lier de Hobbes. Il aborde ici un thème per­du de vue en rai­son de la crise de la théo­lo­gie post-conci­liaire, peu encline à s’attarder sur les véri­tés sus­cep­tibles de déplaire à un « monde » qui se com­plaît dans ses illu­sions. « Ils disent aux voyants : ‘‘Ne voyez point , et aux pro­phètes : ‘‘Ne nous pro­phé­ti­sez pas la véri­té, dites-nous des choses agréables, pro­phé­ti­sez des illu­sions ! » (Is 30, 10).
Dépé­ris­se­ment ou éclipse ? En posant cette ques­tion à pro­pos des valeurs tra­di­tion­nelles il y a exac­te­ment trente ans, Ugo Spi­ri­to conce­vait le dépé­ris­se­ment d’un monde en termes his­to­ri­cistes et idéa­listes, comme un pas­sage à des valeurs et des idéaux « plus com­pré­hen­sifs et vrai­ment uni­ver­sels » ; tan­dis que Del Noce sou­te­nait que la réa­li­té d’alors mani­fes­tait « l’inversion de toutes les valeurs » (une véri­table Umwer­tung), non pas pour être rame­nées à leur essence ou conser­vées sous « une forme supé­rieure », mais pour être tout sim­ple­ment niées et détruites ((. Ugo Spi­ri­to, Augus­to Del Noce, Tra­mon­to o eclis­si dei valo­ri tra­di­zio­na­li ?, Rus­co­ni, Milan, 1971. Hui­zin­ga avait déjà de son côté don­né de très fines obser­va­tions sur la déca­dence de notre civi­li­sa­tion, dans son essai bien connu sur la crise de la civi­li­sa­tion (édi­tion fran­çaise : Incer­ti­tudes. Essai de diag­nos­tic du mal dont souffre notre temps, Médi­cis, 1946). Il dénon­çait alors « la démence imma­nente de l’heure pré­sente », uti­li­sant pour cela le concept de « bar­ba­ri­sa­tion » lan­cé par Orte­ga y Gas­set. A cause de l’éthique sexuelle tou­jours plus libre et désor­mais « déliée de toute norme reli­gieuse », il voyait déjà se pro­fi­ler une « dégé­né­res­cence sexuelle » qui condui­rait la socié­té « à la des­truc­tion ». La res­pon­sa­bi­li­té de la culture était grave, depuis celle des phi­lo­sophes qui déniaient « tout fon­de­ment à la morale » aux sys­tèmes d’origine mar­xiste et freu­dienne qui ensei­gnaient « la rela­ti­vi­té de la morale », tan­dis que la lit­té­ra­ture, échap­pant à toute cen­sure, pou­vait déjà depuis long­temps « tout se per­mettre », cor­rom­pant le public « par d’extraordinaires excès de licence et d’immoralité ». La conscience morale s’était obs­cur­cie au point qu’elle « ne dis­tin­guait plus qu’à grand peine le bien du mal ». Hui­zin­ga aspi­rait en consé­quence à une « cathar­sis », une « puri­fi­ca­tion inté­rieure » de tout l’individu (op. cit., pas­sim). L’homme déca­dent tel que le pré­sen­tait l’historien hol­lan­dais était l’homme-masse déjà mis à nu dans toute sa misère morale par Orte­ga y Gas­set dans La Rebe­lión de las masas (1929), l’individu qui « n’a que des appé­tits, qui croit qu’il ne pos­sède que des droits et ne croit avoir aucune obli­ga­tion », motif pour lequel « la masse en révolte a per­du toute capa­ci­té de reli­gion et de connais­sance » (op. cit., pas­sim).)) . Ce qui s’est pas­sé depuis lors semble bien avoir don­né rai­son à Del Noce. On était au début de la domi­na­tion des sous-cultures, domi­na­tion qui se pro­fi­lait avec la « révo­lu­tion sexuelle » des années soixante, la culture hip­pie et celle de la drogue. On peut dire que nous vivons aujourd’hui une crise de civi­li­sa­tion à laquelle cette inver­sion a don­né l’impulsion déci­sive. Tous les signes s’y ren­contrent d’une mala­die mor­telle qui touche jusqu’à la nature. Alors, quel sera l’avenir ? Avant de répondre, nous vou­drions pro­lon­ger une réflexion sur la déca­dence actuelle, qui paraît être l’inévitable consé­quence de la vic­toire rem­por­tée par la Poli­tique moderne sur la reli­gion catho­lique, par le culte de l’homme sur le culte dû à Dieu, en cher­chant, comme l’ont fait en leur temps Spi­ri­to et Del Noce, à com­prendre le phé­no­mène en le repla­çant dans une pers­pec­tive plus éle­vée.
1. Ce point de vue plus éle­vé est double : c’est celui de la phi­lo­so­phie et de la théo­lo­gie de l’histoire. Comme on le sait, toutes les phi­lo­so­phies de l’histoire, pro­duits typiques de la pen­sée moderne, de l’immanentisme phi­lo­so­phique, conçoivent un déve­lop­pe­ment de l’humanité en trois époques : Anti­qui­té, Moyen Age et Epoque moderne (ou « ger­ma­nique », selon Hegel, parce que com­men­cée avec la reven­di­ca­tion luthé­rienne de la liber­té de l’esprit) ; états théo­lo­gique, méta­phy­sique, posi­tif du genre humain ; modes de pro­duc­tion antique, féo­dal, moderne ou capi­ta­liste, qui devait s’achever dans le com­mu­nisme, grâce à une autre triade, en termes de classes : noblesse féo­dale, bour­geoi­sie, pro­lé­ta­riat. Mais ces sché­mas ter­naires dérivent-ils de la réa­li­té effec­tive du déve­lop­pe­ment his­to­rique ou bien d’une sur­im­pres­sion sur celle-ci, muta­tis mutan­dis, de la doc­trine des trois âges du monde — du Père, du Fils, de l’Esprit — éla­bo­rée par Joa­chim de Flore ? ((. Karl Löwith a insis­té sur ce point dans Welt­ges­chichte und Heils­ges­che­hen : zur Kri­tik der Ges­chichts­phi­lo­so­phie (trad. ita­lienne : Signi­fi­ca­to e fine del­la sto­ria, ed. di Comu­ni­tà, Milan, 1963, pp. 171–183 et 237–242).))  Dans l’un et l’autre cas, comme pour la théo­lo­gie poli­tique, il s’agit de la sécu­la­ri­sa­tion d’une mau­vaise théo­lo­gie, puisque la pen­sée de Joa­chim de Flore a été condam­née par l’Eglise pour ses évi­dentes dévia­tions doc­tri­nales.
La loca­li­sa­tion de l’époque moderne et contem­po­raine en troi­sième posi­tion semble jus­ti­fiée par le fait chro­no­lo­gique de venir après l’Antiquité et le Moyen Age. Tou­te­fois on tend à don­ner à cette troi­sième époque une signi­fi­ca­tion finale et défi­ni­tive, parce que l’on ne peut admettre que les valeurs de l’Homme qu’elle incarne puissent périr. En d’autres termes, on n’admet pas l’idée d’un retour en arrière et d’une pos­sible revanche du catho­li­cisme. La vic­toire de l’Idée d’Humanité sur la Révé­la­tion est tenue pour défi­ni­tive. Comme elle ne croit pas à la véri­té révé­lée, la phi­lo­so­phie de l’histoire com­prend la reli­gion comme la mani­fes­ta­tion de l’Esprit ou de rap­ports objec­tifs déter­mi­nés, sociaux ou de pro­duc­tion, par consé­quent tou­jours comme expres­sion, mode d’être, pro­jec­tion des sen­ti­ments ou aspi­ra­tions de l’homme. Pour cette rai­son, la civi­li­sa­tion chré­tienne du pas­sé, ce monde entiè­re­ment fon­dé sur les valeurs du catho­li­cisme, relé­gué dans l’époque du milieu et déni­gré de toutes les façons, appa­raît comme un phé­no­mène his­to­rique comme les autres, caduc et tran­si­toire comme toutes les mani­fes­ta­tions de l’esprit ou du sys­tème imper­son­nel des rap­ports sociaux qui ont tenu le haut du pavé au cours de la troi­sième époque, celle qui se consi­dère comme ter­mi­nale parce qu’elle repré­sente l’émancipation de la rai­son de toute trans­cen­dance et donc du prin­cipe d’autorité, dans tous les domaines et pour tous. Bien que les reli­gions his­to­riques sur­vivent, on pense avoir clos les comptes non seule­ment avec le catho­li­cisme mais avec la reli­gion en géné­ral, accep­tée uni­que­ment pour sa dimen­sion « sociale » et « humaine », réduite à la bien­fai­sance et à l’entraide, trou­vant son essence ultime (croit-on) dans le culte de l’Humanité. Même les uto­pies maz­zi­niennes sur la Troi­sième Rome, celle du « peuple », capi­tale de l’Humanité, entrent, comme on l’a vu, dans cette Wel­tan­schauung : la « troi­sième Rome » devait sup­plan­ter pour tou­jours la seconde, celle du pape, et s’ériger en sym­bole de l’Ere Nou­velle. L’Eglise devait se dis­soudre dans l’Humanité.
Mais l’existence de l’époque actuelle au troi­sième rang de la suc­ces­sion du déve­lop­pe­ment his­to­rique n’est telle que si l’on croit à l’existence des deux autres époques, autre­ment dit si l’on consi­dère l’époque chré­tienne comme quelque chose qui est né puis est mort, comme une réa­li­té his­to­rique finie, inter­mé­diaire, qui ne fait que sur­vivre dans des formes secon­daires au cours de la troi­sième et der­nière époque qu’est l’Ere Nou­velle. Du point de vue d’une théo­lo­gie cor­recte de l’histoire, cor­recte parce qu’elle expli­cite le lien entre l’histoire et le Dieu vivant, seul véri­table objet de la théo­lo­gie telle qu’elle com­mence à appa­raître avec saint Augus­tin, l’histoire ne peut être sub­di­vi­sée en véri­tables époques, encore moins si elles se déclassent l’une l’autre : elle ne le peut pas, parce qu’elle est mani­fes­te­ment domi­née par le dua­lisme de la cité ter­restre et de la cité céleste, en lutte mutuelle per­pé­tuelle jusqu’à la Parou­sie du Verbe Incar­né. Le domaine de la cité céleste, d’un côté, coïn­cide avec la cité ter­restre, et d’un autre côté, la dépasse dans la mesure où l’Eglise se forme len­te­ment comme le bon grain au milieu de l’ivraie de ce monde, et au-delà avec l’aide du Saint-Esprit. Elle est l’Eglise mili­tante et le Royaume de Dieu qui com­mence déjà à se réa­li­ser par­tiel­le­ment en elle sur la terre, dans la lutte spi­ri­tuelle conti­nuelle que les croyants doivent livrer contre eux-mêmes et contre le monde, contre la cité ter­restre. Cette phase ter­restre de la cité céleste est la phase tran­si­toire de for­ma­tion et de déve­lop­pe­ment du Royaume de Dieu en ce monde, au cours de laquelle Dieu s’adresse au libre arbitre de l’homme, par les invi­ta­tions de sa Grâce, pour son salut. Cette phase se conclu­ra dans la dimen­sion ultra­ter­restre défi­ni­tive, irré­ver­sible, du Royaume de Dieu, après le Juge­ment uni­ver­sel (Mt 13, 40–43).

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15 Avr 2013

L’ou­bli du sym­bole par Père Jean-Paul Maisonneuve

[note : cet article a été publié dans catho­li­ca, n. 92, p. 79–81]

Un ouvrage aus­si foi­son­nant qu’His­toire et théo­rie du sym­bole, de Jean Borel­la, décou­rage le résu­mé ((. Jean Borel­la, His­toire et théo­rie du sym­bole, L’Age d’Homme, coll. Del­phi­ca, Lau­sanne, 2004, 28 €.)) . Par moments trai­té, par­cou­rant l’histoire de la ques­tion, essai sou­vent, et alors plus en aper­çus, sug­ges­tions, déve­lop­pe­ments à l’arraché, démons­tra­tions pleines de brio mais lais­sant le lec­teur à bout de souffle ou le lâchant en cours de route pour le retrou­ver peu après…
Jean Borel­la ne pré­tend cer­tai­ne­ment pas appor­ter du nou­veau. Ce serait se contre­dire. Il rap­pelle ce qui était si connu, si fami­lier, et a été per­du, oh ! pas depuis bien long­temps, met­tons depuis l’époque de Gali­lée. Réfé­rence carac­té­ris­tique, en effet, puisqu’elle fonde le pro­gramme du dis­cours scien­ti­fique. Le mot est pris, et l’on peut le déplo­rer, au sens, moderne, posi­ti­viste, mais loin de nous lais­ser croire que cette « science » soit la science, puisqu’elle com­mence quand finit la démarche essen­tielle de l’intelligence, demande le renon­ce­ment à l’intelligence, sa mise en veilleuse, donc, puisque l’intelligence est facul­té du réel, appé­tence au réel, le renon­ce­ment au réel. Ce n’est que parce qu’elle se dés­in­té­resse radi­ca­le­ment de la réa­li­té que la science, depuis quatre siècles, réus­sit tant de per­for­mances remar­quables. Wla­di­mir Solo­viev, dans la même ligne de pen­sée, disait que la démarche des sciences dites exactes (exactes seule­ment dans l’observation du com­ment, mais inaptes à répondre au quoi et au pour­quoi) don­nait à l’esprit, au lieu de pain, des pierres à man­ger. C’est sur une pareille base que se construit la lin­guis­tique contem­po­raine, c’est de là qu’elle prend sa fécon­di­té propre. Pour étu­dier l’objet lan­gage, Saus­sure doit se dés­in­té­res­ser de la réa­li­té du lan­gage. Cela ne retire pas sa valeur à la lin­guis­tique saus­su­rienne, dans son ordre, mais la situe par rap­port à ce que peut être une méta­phy­sique du lan­gage, une phi­lo­so­phie, une épis­té­mo­lo­gie du signe.
L’activité méta­phy­sique, entre deux direc­tions pos­sibles, a tel­le­ment pris celle qui va vers l’abstraction, qu’elle abou­tit à se perdre. Jusqu’alors, elle ten­dait à la contem­pla­tion. C’est que la méta­phy­sique ne peut que conduire au silence. La démarche scien­ti­fique, elle, ignore ce silence plein qui est celui du Logos d’où pro­vient toute parole, toute intel­li­gi­bi­li­té. C’est-à-dire que, voyant bien la triade signi­fiant-signi­fié-réfé­rent, il laisse de côté le qua­trième terme, celui qui fonde la signi­fiance, le Réfé­rent de tous les réfé­rents. C’est dans sa lumière que nous voyons avec notre intel­li­gence, et quoi que ce soit que nous com­pre­nons, si infime cela soit-il, nous ne le com­pre­nons que parce qu’Il le com­prend en nous, et ce en se com­pre­nant d’abord Lui-même, car c’est en Lui-même que le Verbe connaît toutes choses, et en les connais­sant, par cela qu’Il les connaît, leur donne d’être. Cette doc­trine est ancienne et essen­tielle, elle se retrouve au prin­cipe de toute phi­lo­so­phie pla­to­ni­cienne ou chré­tienne. On la trouve en fait uni­ver­sel­le­ment (par exemple, me semble-t-il, dans l’Inde du tour­nant du début du XXe siècle, chez un Tagore). La culture moderne ne peut que perdre de vue le sym­bole. Elle tend à le rame­ner à la déno­ta­tion, comme le lan­gage des mots (ce rite, cette figure, cette image veulent dire exac­te­ment ceci) ou alors elle le per­çoit comme un signe vague, pure conven­tion (alors qu’il s’inscrit dans une tra­di­tion, et par là est ins­ti­tué, doté de sacra­li­té, mais en étant pris dans la natu­ra­li­té) ou confi­ture sur la tar­tine. « […] Le sym­bole, par son exis­tence même, est une méta­phy­sique impli­cite, le témoin muet d’“autre chose”, la preuve d’une alté­ri­té onto­lo­gique essen­tielle. Et l’on ne réfute pas une exis­tence. Nous ne disons pas du tout que le sym­bole témoigne de tel ou tel “autre monde”, nous disons, plus radi­ca­le­ment, qu’il nous éveille à la conscience de tout “autre monde” pos­sible. Toute trans­cen­dance est révé­la­trice de la fini­tude de l’ordre qu’elle trans­cende : c’est la ver­ti­cale qui révèle l’horizontalité des plans qu’elle tra­verse. […] [Le sym­bole] nous apprend que pen­ser et poser le monde, c’est pen­ser et poser un monde, et donc nous ouvrir du même coup à son au-delà. » (p. 226)
Alors qu’il est échelle de Jacob, ver­ti­cale qui fait des­cendre les rayons du Logos à chaque éche­lon de la réa­li­té. L’eau que je vois, touche et bois n’est pas une simple image d’une réa­li­té supé­rieure. Elle par­ti­cipe onto­lo­gi­que­ment de l’essence même de cette Eau qui existe au delà du sen­sible. Il me semble qu’ici se rejoignent for­te­ment idéisme (j’emploie ce mot pour évi­ter « idéa­lisme ») et réa­lisme méta­phy­siques. Ce n’est que dans le sym­bole que l’intelligence peut rejoindre la réa­li­té ultime. Il y a un mys­tère du sym­bole parce qu’il y a un infi­ni onto­lo­gique, et l’être humain n’aura jamais fini de le décou­vrir. Les fameuses conquêtes de la « rai­son » et de la « science », les fameuses « lumières », sont dépour­vues de véri­table mys­tère (qu’elles rem­placent abon­dam­ment en fait par la sur­prise, vite oubliée du reste, toute exci­ta­tion deman­dant bien­tôt une autre exci­ta­tion plus forte : qui ne voit tout ce qu’il peut y avoir là de vul­gaire et conduire à la vul­ga­ri­té en tous domaines), parce qu’elles tournent le dos au réel alors même qu’elles reven­diquent son mono­pole et son exclu­si­vi­té.
On pour­rait s’alarmer des cita­tions nom­breuses d’un René Gué­non et de repré­sen­tants de spi­ri­tua­li­tés qui sentent le soufre. Ce serait d’autorité, sans exa­men, fer­mer une porte où d’autres s’engouffrent sans dis­cer­ne­ment au prix de mul­tiples mal­en­ten­dus. Il eût été inté­res­sant que l’auteur nous intro­duise avec cer­tains ména­ge­ments dans une lit­té­ra­ture où poussent ensemble fleurs de l’Esprit et, je le crains, plantes véné­neuses.
Remer­cions Jean Borel­la d’avoir si clai­re­ment éta­bli la fécon­di­té de la démarche sym­bo­lique et mon­tré que là seule­ment se trouve un ave­nir digne de l’humanité, étant don­né qu’il n’est pas un seul domaine de l’agir ou du vécu humains qui échappe à l’emprise du sym­bole. Qu’il soit per­mis de spé­ci­fier cette remarque dans le domaine si essen­tiel de la litur­gie. Après une telle lec­ture, on n’a pas besoin d’un des­sin pour prendre conscience des errances du culte chré­tien des siècles modernes, et par­ti­cu­liè­re­ment, peut-être dans la plu­part des cas, du culte catho­lique latin actuel, si l’on veut se doter d’une saine anthro­po­lo­gie, à savoir phi­lo­so­phie, théo­lo­gie, ortho­praxie du sym­bole. Que le sym­bole soit uti­li­sé pra­ti­que­ment à contre­sens, c’est ce dont on est sans peine convain­cu à la vue des tor­rents d’explications qui se déversent au cours de nos assem­blées, propres à noyer la mèche qui fume encore de ce qui reste de ritua­li­té. Une socié­té qui, exis­ten­tiel­le­ment, perd ses rites a tout per­du et se perd elle-même.

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